Philippe Folliot intervient aux Universités d’été de la Défense

Comme tous les aAction civilo-militaire françaisens, Philippe Folliot a participé aux Universités d’été de la Défense qui se sont déroulées cette année à Istres. Il est intervenu ce matin dans le cadre du “Forum des Rencontres” sur son rapport relatif aux “actions civilo-militaires” (ACM) en cours de rédaction avec son collègue socialiste Guy Chambefort (Allier). Le vice-président de la commission de la défense a rappelé les enjeux fondamentaux liés à cette problématique de plus en plus présente dans les théâtres où la France est engagée.

Pour Philippe Folliot, les ACM peuvent être considérées de deux manières : soit comme un moyen pour mener une action de sécurité – elles sont alors une composante de la manœuvre militaire –; soit comme un outil dont le principal intérêt est lié aux perspectives de sortie de crise. Autrement dit, elles ont vocation à favoriser l’acceptation de la force ainsi que son action. Et il convient également d’aborder sans complexe la question de la promotion des intérêts économiques de notre pays. Les financements internationaux consacrés aux théâtres tels que l’Afghanistan sont massifs.

Ces objectifs sont parfois contradictoires. Ainsi les actions de court terme permettent de convaincre rapidement la population que son quotidien s’améliore, mais s’y consacrer exclusivement ne contribue par à reconstruire l’État de droit, garantie ultime de stabilité et donc de départ de nos soldats sur une victoire. Les propositions du rapport de Philippe Folliot qui seront nourries par de multiples contributions et des déplacements sur le terrain offriront certainement des perspectives et une doctrine plus claire à la Défense française dans ce domaine.

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Mesdames, Messieurs,

La commission de la défense nationale et des forces armées nous a confié le 5 mai 2010 une mission d’information sur les actions civilo-militaire (ACM). Je formais ce projet depuis un certain temps, conscient qu’il s’agit là d’une problématique fondamentale des conflits modernes

Nous n’en sommes encore qu’au début de nos travaux. Je vais donc vous décrire les principaux enjeux que nous voyons aujourd’hui, et vous indiquer les pistes de réflexion qui devraient guider notre travail au cours des prochains mois. J’attends également avec impatience la discussion qui suivra mon intervention, comme autant d’éclairages qui nous serons précieux.

 (I) Nous avons identifié des difficultés liées à la définition du périmètre des ACM ainsi qu’aux objectifs à leur assigner.

Première question, le périmètre : il varie selon les acteurs ou les pays.

D’une façon générale, les ACM désignent les actions mises en œuvre dans le domaine civil sur un théâtre d’opération. Elles accompagnent l’action de la force de manière à obtenir dans les meilleurs délais l’effet final recherché. Elles visent donc bien à « gagner » les cœurs, ou mieux, à les « conserver », par des actions localisées. Elles doivent illustrer de façon concrète et rapide l’intérêt qu’il y a pour les populations à soutenir le camp loyaliste. Par nature, elles associent militaires et civils, ceux-ci devant donc se coordonner étroitement.

L’éventail des actions part de celles strictement financées par des crédits militaires et réalisées par eux jusqu’à celles, particulièrement ambitieuses, participant à la reconstruction de l’économie d’une région et au développement de l’état de droit, en passant par toutes les variations possibles de contribution en capitaux publics ou privés ou en moyens humains civils ou militaires. Nos alliés mettent en œuvre en Afghanistan des équipes de reconstruction provinciales qui disposent de moyens considérables. Nous n’y participons pas, ces démarches ne correspondant pas à notre doctrine en matière d’ACM ; et le militaire français est traditionnellement un « soldat-bâtisseur ».

Second point : quels objectifs leur assigner ?

Répondre à cette question permet, au final, de décider comment les organiser et quels moyens y consacrer pour être efficaces. Comme vous vous en doutez certainement, la question n’est pas si simple. Les ACM peuvent être considérées de 2 manières : soit comme un moyen pour mener une action de sécurité – elles sont alors une composante de la manœuvre militaire- ; Soit comme un outil dont le principal intérêt est lié aux perspectives de sortie de crise. Autrement dit, elles ont vocation à favoriser l’acceptation de la force ainsi que son action. Et il convient également d’aborder sans complexe la question de la promotion des intérêts économiques de notre pays. Les financements internationaux consacrés aux théâtres tels que l’Afghanistan sont massifs. Les ACM peuvent être une porte d’entrée pour nos entreprises dans ces pays.

Or, ces objectifs sont parfois contradictoires. Ainsi les actions de court terme permettent de convaincre rapidement la population que son quotidien s’améliore, mais s’y consacrer exclusivement ne contribue par à reconstruire l’État de droit, garantie ultime de stabilité et donc de départ de nos soldats sur une victoire. Le financement des ACM doit-il concentrer l’essentiel de notre effort à destination d’un pays ou faut-il aussi aider les régions plus calmes afin précisément de les préserver de l’instabilité ? Comment analyser au mieux, avec l’ensemble des intervenants présents sur un théâtre, les besoins du terrain ainsi que ses capacités d’absorption ?

Enfin leur mise en oeuvre n’est pas sans risques :

En effet, l’injection de moyens et de compétences est susceptible de provoquer des distorsions et de perturber l’économie locale ou encore son système de santé.

Les ACM sont aussi susceptibles de générer deux effets pervers : la compromission d’éléments locaux voyant là une opportunité de quitter leur pays, d’une part. D’autre part, lorsque l’ACM est « généreuse » il peut être tentant d’entretenir l’instabilité pour maintenir la présence militaire pour que cette générosité se perpétue ; et il ne faut pas négliger l’effet incitateur que cela peut avoir dans une autre partie du territoire.

(II) Il peut être utile d’évoquer rapidement des ACM sur lesquelles nous avons eues quelques éléments :

L’excellent service de santé des armées a historiquement et culturellement une pratique et une connaissance de l’aide aux populations. Si l’appellation – on est passé de l’aide médicale gratuite à l’aide médicale à la population (AMP) – a évolué, son action auprès d’elles se révèle essentielle sur les théâtres par le lien qu’il créée entre la force et la population locale. Environ 56 % de l’activité du SSA relève de cette AMP.

Hier au Kosovo notre pays était en première ligne de l’effort militaire. Pour ce qui relève des ACM, dans un premier temps une compagnie de génie de combat a été déployée puis, la mission ayant évolué, le dispositif s’est transformé en une compagnie de génie en partie travaux et en partie combat. Sur l’ensemble du mandat, environ 20 000 euros ont été dépensés. Un jumelage entre des écoles de Nîmes et des écoles kosovares a bien fonctionné et s’est traduit notamment par des envois de matériels.

Aujourd’hui en Afghanistan l’aide globale de la France est de 20 millions ; 14 millions sont concentrés en Kapisa / Surobi, en grande partie dans le cadre d’ACM ; les 6 autres sont répartis soit dans l’administration soit dans des projets emblématiques. Nous étudierons plus particulièrement les ACM menées sur ce théâtre ainsi qu’au Tchad.

(III) A ce stade de nos travaux, nous pouvons vous faire part de quelques constats et de nos interrogations.

La première constatation qui nous a frappés est l’incohérence entre le niveau d’engagement militaire de la France et la diffusion de nos intérêts économiques. L’exemple du Kosovo est éloquent avec des retombées économiques très décevantes. Les opportunités étaient considérables, par exemple dans le domaine du traitement des eaux ou de l’exploitation du zinc ou encore des infrastructures. Les entreprises françaises se sont montrées d’une timidité phénoménale, laissant leurs homologues allemandes s’emparer du marché. Plus généralement, les entreprises françaises font preuve d’une grande frilosité ; leurs inquiétudes semblent résider dans les questions de sécurité et la lourdeur des procédures.

Dans le même esprit, alors qu’il peut être utile de projeter des personnels issus du monde civil mais avec le statut de réserviste pour participer à des ACM, force est de constater que les entreprises éprouvent des difficultés à s’engager dans des partenariats avec la défense par peur d’une instabilité juridique et en raison de l’incertitude pesant sur le retour possible sur investissement.

La question de la coordination interministérielle est souvent mise en avant. J’observe qu’en premier lieu, nos ambassadeurs jouent le rôle de coordinateurs de l’action du Gouvernement au niveau local où les ACM sont gérées par un officier inséré dans les bataillons déployés. À Paris, les choses peuvent être un peu moins claires. Il semble que les différents ministères concernés se concertent au cas par cas, sans qu’il y ait de véritable coordination permanente pour chaque théâtre. On notera la création d’une cellule dédiée à la zone Afghanistan-Pakistan (l’AFPAK) au Quai d’Orsay, qui rassemble des fonctionnaires des différents ministères concernés. Il s’agit d’une initiative intéressante mais encore isolée et il faudra en étudier le retour d’expérience du point de vue des ACM.

La cohabitation, la coordination entre les militaires et la société civile, en particulier avec les ONG, parait perfectible. Quelle que soit l’organisation qu’il retient, l’État doit s’appuyer localement sur des relais pour mettre en œuvre ses ACM, le plus souvent des ONG, qui disposent des compétences comme de l’expérience pour mettre en œuvre des actions civiles, et dont c’est le cœur de métier. Guy CHAMBEFORT et moi avons réuni en juillet un certain nombre d’ONG présentes sur nos théâtres d’intervention. Certaines d’entre elles acceptent de travailler avec l’armée pour mettre en œuvre des ACM tandis que d’autres le refusent par principe. Cette table ronde a bien illustré, à mon sens, une certaine incompréhension qui semble parfois exister entre ces deux mondes. La question est compliquée par la différence de légitimité entre les intervenants : au contraire de l’ONG, le militaire exécute un mandat émanant du pouvoir politique qui lui-même rend des comptes.

Je note également la possibilité de développer des coopérations décentralisées. De ce point de vue, ma bonne ville de Castres s’était montrée exemplaire en 2008, en soutenant des initiatives mises en œuvre par le 8ème RPIMa.

Au-delà, il nous reste encore beaucoup de questions à approfondir.

Sur le plan budgétaire, nous verrons au cours de notre étude si les moyens sont suffisants du côté français. Il faudra certes effectuer des comparaisons avec nos partenaires, mais, compte tenu des différences de périmètres, avec la plus grande prudence.

Guy CHAMBEFORT et moi entendons analyser la façon dont l’accompagnement civil de nos déploiements en opération extérieure est anticipé. Disposons-nous d’une véritable stratégie, appuyée sur des études précises du pays, sur ses besoins, ainsi que sur nos atouts et ambitions (économiques, politiques, culturelles) ? Quel acteur doit être à la manœuvre ? Là encore, les réponses ne sont pas évidentes. Nous avons interrogé notre réseau diplomatique ainsi que les ambassades de différents pays membres de l’Union européenne ainsi que de nos principaux partenaires. On constate des formes d’organisation très différentes : dans certains pays c’est l’administration des affaires étrangères qui a la charge du pilotage, ailleurs, c’est la défense, les deux acteurs pouvant, ou non, alterner selon les phases d’avancement des projets et la stabilité des zones. En outre, pour la mise en œuvre concrète des actions, là encore, nous constatons une grande diversité d’expériences : existence ou non d’une brigade spécialisée au sein de l’armée de terre, mobilisation plus ou moins forte des réservistes, etc.

 ***

Au cours des mois à venir, nous allons approfondir notre travail. Il nous semble crucial de rencontrer sur le terrain les autres acteurs français impliqués dans les ACM et de constater le résultat de leurs actions. Il nous faut également étudier plus en avant les principales expériences étrangères, mais aussi prendre en considération le rôle de l’Union européenne et de l’OTAN. Ces deux acteurs ont vocation à jouer un rôle de plus en important : d’une part parce qu’aujourd’hui nous agissons essentiellement en coalition et, d’autre part, parce que la contrainte budgétaire se fait pressante ici comme ailleurs. L’UE semble se dessiner comme la structure la plus crédible.

 Notre ambition est de rendre un rapport utile, pour les opérations que nous menons actuellement à l’extérieur, mais aussi bien sûr pour l’avenir. C’est pourquoi j’attends vos remarques et contributions avec le plus grand intérêt.

Je vous remercie.

Philippe Folliot

 

Philippe Folliot intervient aux Universités d’été de la Défense
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