Une mer de… plastique !

Dans notre région d’Occitanie, depuis octobre 2018, une étude scientifique est menée sur la Garonne afin d’analyser les sources, les comportements et l’impact des pollutions plastiques et microplastiques à la fois sur la morphologie du fleuve mais aussi, et surtout, sur la biodiversité et la chaîne alimentaire présentes dans les écosystèmes fluviaux. Cette étude, baptisée Plastigar et menée par deux laboratoires de l’Université Paul Sabatier de Toulouse, rattachés au CNRS (l’IMRCP, Interactions Moléculaires et Réactivités Chimiques et Photochimiques, et l’EDB, Évolution et Diversité Biologique), est la première au niveau européen à associer le comptage des plastiques et leurs conséquences sur la chaîne alimentaire.

Ce lien est particulièrement intéressant, car une autre étude européenne, publiée fin août 2018, révélait que 71% des mollusques, 66% du sel et 66% des crustacés que nous retrouvons sur nos étals seraient contaminés par les microplastiques, ces particules qui mesurent de moins de 0,5 cm à quelques microns. Comme nous consommons malgré tout ces produits de façon courante, les probabilités que l’être humain soit également contaminé sont très grandes et nous ignorons les conséquences de cette contamination pour la santé à long terme.

La pollution aux plastiques et aux microplastiques, primaires (utilisés comme tels dans l’industrie) ou secondaires (résultat de la dégradation du plastique) est énorme dans nos fleuves, et plus encore dans nos océans. C’est un fait que le grand public mesure encore assez mal, d’où l’utilité et l’importance des études comme Plastigar ou l’Expédition 7ème Continent.

Sur la Garonne, quelques mesures de comptage avaient déjà été effectuées, en partenariat avec l’association « Expédition 7ème Continent », à Bordeaux, en mai et juin 2016, mais aucun programme dans la durée n’avait jusqu’alors été envisagé. L’étude Plastigar est ainsi révolutionnaire dans son ampleur et dans sa durée : quatorze sites de prélèvement délimités et des prélèvements prévus tout au long de l’année de façon régulière, ainsi que des prélèvements supplémentaires en cas d’épisodes météorologiques spéciaux.

Ces quatorze sites sont situés tout le long du fleuve dans sa partie non-pyrénéenne, ce qui permettra en outre aux chercheurs et aux autorités locales de se faire une idée assez juste de la quantité de plastiques rejetée à l’océan par-delà l’estuaire, ainsi que de la provenance de ces pollutions et de la responsabilité des grandes agglomérations comme Toulouse et Bordeaux sur la vie du fleuve.

Les conséquences de ces pollutions sur les océans ont été mieux médiatisées et l’expression « 7ème Continent » fait sens aujourd’hui. Géographiquement, le « 7ème Continent » se forme dans le Pacifique, mais aussi dans l’Atlantique dans une moindre mesure, aux endroits où les courants marins se croisent, formant de gigantesques vortex dans lesquels les déchets restent emprisonnés. Ce sont 1800 milliards de déchets qui y sont accumulés, soit plus de 80 000 tonnes ! Ces chiffres sont tellement énormes, tellement hors de toute conception que de nombreux citoyens ne réalisent toujours pas l’immensité de ce désastre écologique, à la fois en terme de surface – l’ensemble de ce 7ème continent a été estimé entre 3 et 6 fois la France, selon les concentrations de déchets admises dans le décompte – et de répercussions sur les écosystèmes et au final sur l’alimentation humaine. Il faut vraiment le voir pour le croire ! À tel point que pour attirer l’attention sur lui, le site LADbible et l’O.N.G. Plastic Oceans Foundation ont carrément monté une campagne médiatique pour demander que ce continent de détritus soit reconnu par l’O.N.U. comme son 196ème membre !

Mais ce 7ème Continent n’est pas le seul indicateur du gigantisme de la pollution humaine. Pour ma part, c’est un autre désastre écologique, dérivé de celui-ci, que je suis allé constater de mes propres yeux, avec une vision tout aussi désolante : ce désastre, c’est celui de l’atoll de la Passion-Clipperton, une île d’origine volcanique au large du Mexique transformée en « île poubelle » par la négligence de la France et l’ingérence environnementale mondiale, dont je dresse un portrait complet dans mon livre « La Passion-Clipperton, l’île sacrifiée ».

Cette île, aujourd’hui inhabitée et inscrite dans un programme de préservation, m’a saisie par le contraste entre son apparence depuis le ciel et la réalité que j’ai découverte une fois mis le pied au sol. Résidus des missions militaires américaines, mexicaines, françaises, puis scientifiques qui s’y sont succédées ou fruits du charriage des océans, les déchets y sont omniprésents. C’est un grand paradoxe que cette île désertée par l’homme où les conséquences de l’activité humaine s’imposent partout au regard.

Depuis ma visite sur place en 2015, je me bats pour qu’elle soit mieux connue des Français, que ceux-ci se rendent compte de l’aspect primordial de la préservation d’espaces sauvages tels que celui-ci pour notre avenir et celui de notre planète. En 2016, ma proposition visant à doter d’un statut l’île de La Passion-Clipperton, première étape en vue de l’aménagement d’une base scientifique à vocation internationale a été adoptée – et c’est l’une des rares ! – à l’unanimité par l’Assemblée Nationale mais n’a pas encore été examinée par le Sénat. Et en 2017, la mission « Passion 2017 – Marine Nationale » s’est rendue sur place afin de neutraliser les munitions et autres engins militaires abandonnés en l’état, mais aussi de commencer à nettoyer quelques plages pour tenter de leur rendre leur aspect originel.

Modérons notre propos : la pollution sur l’atoll de la Passion-Clipperton n’est pas plus importante que sur les autres plages du monde – il ne se situe pas dans l’un des vortex du 7ème Continent – mais aucun nettoyage n’y avait été effectué depuis longtemps par l’homme jusqu’à l’intervention de la Marine Nationale, ce territoire de France ayant été largement oublié par les Français, à l’exception des explorateurs comme le commandant Cousteau, mon compatriote Tarnais Jean-Louis Etienne ou encore mon ami et co-auteur le professeur Christian Jost qui me l’a fait découvrir.

Toutefois, cette accumulation est symptomatique de l’absence de gestion mondiale des déchets et de l’inconscience générale vis-à-vis de l’urgence écologique. On parle toujours du réchauffement climatique et de la nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre, mais ce sont tous nos déchets, pas seulement gazeux, que nous devons impérativement réduire, voire valoriser quand cela est possible.

L’État français est régulièrement montré du doigt pour son inaction en la matière sur ses territoires inoccupés. Les autorités ne sont pas les seules responsables – nous le sommes tous, individuellement – mais elles ont valeur d’exemple. De vastes campagnes de sensibilisation et de responsabilisation sont absolument nécessaires pour endiguer ce phénomène et faire en sorte que notre mode de consommation soit moins préjudiciable à notre environnement, à notre alimentation, et donc à nous-mêmes.

La multiplication des études sur l’environnement est un bon marqueur de la prise de conscience progressive de cette urgence. Toutefois, sans une volonté et une action politiques fortes, qui prennent en compte les résultats de ces études et réagissent à proportions égales, l’écologie responsable restera un vain mot. Aucun être humain ne devrait souhaiter cela.

Amitiés,

Philippe FOLLIOT

Une mer de… plastique !