Prolongation de l’opération Sangaris: que faire maintenant?

Opération Sangaris
Opération Sangaris

Tribune parue le 10 mars 2014 sur le @huffingtonpost.fr

Comme, il y a près d’un an pour l’opération Serval au Mali, et alors que l’opération Sangaris en RCA a été déclenchée le 5 décembre dernier, la représentation nationale a apporté son soutien au prolongement de l’Opération (conformément à l’article 35 – alinéa 3). L’UDI a certes voté oui. Mais un « oui, mais »… c’est à dire agrémenté de conditions, en premier lieu desquelles, que l’engagement français débouche rapidement au déploiement de casques bleus, d’ici à cet été, pour une force conséquente d’imposition de la paix « sous chapitre 7″ de la Charte des Nations Unies. » Il convient ainsi de dire très clairement que ce n’est pas à la France de porter seule le fardeau de l’impuissance internationale. Ce n’est pas à la France d’être en première ligne sur toutes les crises qui parcourent le continent africain. L’Europe doit aussi véritablement s’engager. L’ONU doit assumer sa « responsabilité de protéger » et s’en donner les moyens.

Bien sûr, nous nous réjouissons de l’envoi d’une force européenne (EUTM-RCA, dont le QG sera situé en Grèce, à Larissa et qui sera dirigée par un général français, le général Philippe Ponties), initialement de 500 hommes portée à 1000, conformément à la dernière résolution onusienne 2134, votée en janvier dernier, néanmoins contingentés à une seule présence statique de protection de l’aéroport de Bangui. Mais un acte politique fort, dans une opération de cette nature, ne saurait être seulement un acte symbolique tel que celui-ci. D’autant que cette force serait pour le moment composée pour grande partie de nos amis Estoniens, Géorgiens et de quelques éléments hongrois, roumains et polonais. Tous les grands pays européens en sont absents. L’UE, en réalité, ne nous suit pas !

Jean-Louis Borloo, il y a de cela quatre mois, avait appelé à la responsabilisation des Etats voisins et à l’Union Africaine, à la mobilisation de l’Europe et au rassemblement de la communauté internationale pour que le calme revienne rapidement et durablement dans cette partie de l’Afrique. L’engagement de l’armée française en République centrafricaine aux côtés des forces africaines de la MISCA, conformément à la résolution 2121 du Conseil de sécurité de l’ONU, était une décision extrêmement lourde et grave. Il était impératif et urgent d’intervenir. C’était une obligation morale. C’était une nécessité humanitaire. C’était un choix qui a fait honneur à la France, parce qu’il était conforme aux valeurs universelles de notre pays.

Dans un contexte particulièrement difficile, bien différent de celui du Mali car avec aucun adversaire clairement identifié, c’est une mission que nos soldats assument avec courage, efficacité et lucidité. Au premier rang des troupes sur place, il y a eu le GTIA Amarante, composé de la 11ème brigade parachutiste et plus particulièrement du 8ème RIPMa de Castres qui, dès le début du conflit, a une fois encore, payé un trop lourd tribu. Bientôt un nouveau GTIA Savoie (composé des chasseurs alpins du 13ème BCA de Gap appartenant à la 27ème Brigade d’infanterie de montagne) le remplacera.

Néanmoins, les réalités s’imposent à nous et l’excès de mots se heurte à l’insuffisance des moyens. Il faut bien admettre que l’ampleur de la situation sur place a été initialement sous-estimée. Dès le début de l’intervention française, l’UDI, avait dit que nous y resterions plus longtemps que prévu et qu’il faudrait nettement plus d’hommes sur le terrain. Les forces Sangaris ne peuvent ainsi quitter maintenant la République centrafricaine qui ne dispose plus d’Etat, ni de services de sécurité… Cette situation étant déjà très difficile et complexe, si les éléments de la force Sangaris qui occupent une place pivot d’appui à la MISCA se retiraient, la situation deviendrait catastrophique et chaotique.

Notre armée se trouve dans une situation de plus en plus intenable. Trop peu nombreux, nos soldats essayent, avec leurs moyens, d’apaiser un conflit aux multiples facettes, sans adversaire clairement identifié et face à une situation très versatile où le soutien d’aujourd’hui peut devenir l’adversaire de demain et vice-versa. La tâche de nos soldats se révèle donc bien plus complexe que nous ne l’avions imaginée, et cette opération n’a rien à voir avec celle engagée au Mali. Centrée, aujourd’hui, sur des objectifs d’interposition, de désarmement et de gestion de foules, demain sur des missions de démobilisation et de réintégration des anciens belligérants (DDR) ainsi que sur la finalité de la réforme des systèmes de sécurité (RSS), la mission des Sangaris s’apparente davantage au Kosovo ; or l’OTAN y avait envoyé jusqu’à près de 60 000 hommes. Les forces militaires dépêchées sur place sont notoirement insuffisantes : 2000 français – dont seulement 50 gendarmes – et 6000 africains de la MISCA, alors que les experts évaluent le besoin à 30 000 soldats pour stabiliser un pays de 623 000 km2 (France et Belgique réunis) où tout est en ruines. Même si évidemment la réalité tactico-opérationnelle et stratégique n’est pas la même, mais la RCA à peu ou prou la même superficie que l’Afghanistan : On ne peut pas ainsi pas « tenir » le pays avec 200 fois moins de soldats, si aguerris soient-ils !

La République centrafricaine est aujourd’hui plongée dans le plus sombre des chaos. L’Etat n’a plus de consistance. En réalité, il n’y a plus d’Etat : les fonctionnaires ne sont plus payés depuis cinq mois, la justice ne fonctionne pas, les prisons sont fermées. L’armée compte moins de 10000 hommes, dont 200 « opérationnels » sur le terrain, pour l’essentiel dans le sud-est du pays, « dédiés » aux côtés des forces spéciales américaines, à la traque des restes de l’Armée de résistance du Seigneur (LRA) et de son chef charismatique et mystique, Joseph Kony. Sur Bangui, on ne compte plus que 6500 hommes, mais sans uniformes ni armes, ce qui démontre l’état de déliquescence des forces de sécurité dans le pays.

La France a une vocation universelle, certes. Mais elle n’est pas une puissance universelle. Elle n’a pas vocation à compenser l’impuissance internationale à elle seule. Elle a vocation à susciter l’élan collectif des Nations du monde. La grande décision d’un grand pays comme la France, c’est le partage de la décision. Il conviendrait ainsi de créer un fonds européen d’opérations extérieures pour des pays qui n’engagent pas d’hommes. C’était une des suggestions de Jean-Louis Borloo en décembre dernier, et une des 18 propositions du programme défense UDI, présenté en novembre dernier

Il faut ainsi prendre en compte le coût des OPEX, en temps de crise.

La LPM 2014-2019 a, du reste, prévu de réduire le pré-finacement des OPEX de 630 à 450 millions d’euros par an, alors que l’opération Sangaris aurait déjà couté près de 100 millions d’euros. A titre de comparaison, l’opération Serval a, quant à elle, d’ores et déjà couté 647 millions d’euros. La Loi de finance pour 2014 est venue confirmer que la prévision des surcouts OPEX pour 2013 serait estimée à 611 millions d’euros (hors surcoûts mentionnés précédemment liés au déclenchement en janvier 2013 de Serval).

Il est donc devenu urgent que la France propose une conférence internationale, mettant autour de la table, les principaux acteurs de la crise : les six pays frontaliers, notamment le Congo, le Tchad, le Soudan, ainsi que les voisins « impliqués » dans la crise, dont le Gabon, l’Ouganda et le Rwanda, à côté de l’UE, de l’UA, de l’ONU, des Etats-Unis et de la Chine, qui, chacun à des degrés divers porte en eux une part de responsabilité dans le déclenchement de la crise autant qu’ils offrent des alternatives crédibles à la sortie de crise.

Car, aucune sortie de crise et solution durable ne pourra être trouvée sans une réelle mobilisation des Etats voisins qui pour certains, de par le passé, ont trop souvent considéré la Centrafrique comme le ventre mou de la région au sein duquel ils ont exporté leurs propres problèmes, intérêts et contradictions intérieures.

Par Philippe FOLLIOT, Député du Tarn, chargé des questions défense au sein du contre-gouvernement UDI et Emmanuel Dupuy, Président du Club Défense de l’UDI.

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