Pérégrinations autour d’un mot : PRESSE

| 12 MAI 2020 |

Rarement dans l’Histoire de notre pays une loi aura autant et si durablement marqué. En effet, c’est le 29 juillet 1881 que le Président de l’époque, Jules GREVY, promulgue ce texte fondateur, je dirais même référence, sur la liberté de la presse.

Voté à une large majorité quelques jours plus tôt, le 21 juillet, clin d’œil de l’Histoire, ce n’est pas d’un projet de loi d’essence gouvernementale mais d’une proposition de loi d’initiative parlementaire issue d’une commission ad hoc de 22 députés, toutes tendances confondues, qu’est née cette avancée démocratique si fondamentale.

Après les lois constitutionnelles de 1875, c’est donc 92 ans après la Révolution française, par ce vote, que la démocratie était durablement installée dans notre pays.

En mettant fin au controversé et liberticide système d’autorisations préalables et de cautionnement, et en assurant un principe de responsabilité a posteriori du directeur de publication, elle établi ce socle fondamental sur lequel vont s’appuyer d’autres lois importantes sur l’audiovisuel et la communication (1982, 1986), sr le numérique (2004), sur la protection du secret des sources journalistiques (2010) …

La première des libertés à laquelle s’attaquent les pouvoirs et régimes autoritaires, populistes ou dictatoriaux, c’est à celle de la presse. Ce bien vital pour notre démocratie, nous devons le chérir et le préserver. Pour autant, le monde de la presse, et la liberté de l’information, doivent faire face à de nombreux défis que je qualifierais de trois ordres :

  1. Economique tout d’abord, car aujourd’hui, en France plus particulièrement, les entreprises de presse sont fragiles et prises en tenaille avec des charges et des frais fixes qui progressent et des ventes au numéro qui stagnent voire régressent. Les récentes difficultés de l’emblématique journal L’Humanité ou la disparition de France-Antilles en sont des illustrations, et le modèle économique de nos journaux tangue, malgré quelques réussites atypiques. La crise sanitaire que nous traversons et ses douloureuses conséquences économiques font peser le risque de, malheureusement, voir diminuer singulièrement le marché publicitaire, et la presse, notamment écrite, pourrait en être la première victime. A mon humble avis, dans les éléments et perspectives de relance, cet aspect des choses et le soutien à ce secteur si particulier et si important ne devrait pas être oublié.
  2. Numérique ensuite, avec la polémique sur les droits d’auteurs et droits voisins qui est un sujet aussi complexe qu’essentiel. En fait, il s’agit de la pratique des géants du numérique, les GAFA, qui utilisent sans vergogne les sources (informations des journaux) sans les rémunérer et compenser, tout en siphonnant parallèlement les recettes publicitaires. Dans ce combat de David contre Goliath, l’Europe serait bien inspirée de défendre notre modèle et de faire appliquer la directive européenne sur le droit d’auteur qui a déjà été transcrite dans le droit français par la loi. Il en va, au-delà d’un principe moral et d’une forme élémentaire de justice, de l’équilibre financier et de la pérennité économique de notre presse.
  3. Sociétal enfin, avec une part de plus en plus importante de la jeunesse et d’une partie de la population qui ne lit pas ou si peu les journaux… La génération « petite poussette », comme aimait à l’appeler le philosophe Michel SERRES, se détourne du papier, de la radio, de la télévision et consomme de la lecture, du son et de l’image sur son téléphone intelligent, sur sa tablette, sur son ordinateur. En fait, leur quête de l’information est très différenciée de celle de ma génération, les sources sont multiples, diverses, variées. Ils sont souvent conscients, tout au moins pour les plus avertis, de la fragilité de certaines informations, mais ils consomment cela avec une certaine distanciation, et je l’espère lucidité. Dans cette catégorie, il y a aussi ceux qui, dépourvus d’esprit critique ou complices des visions les plus extrémistes, farfelues ou complotistes, croient que parce qu’ils ont vu quelque chose sur internet, cela vaut pour vérité et cela devient leur propre vérité. C’est tout l’enjeu des fausses nouvelles ou fausses informations qui circulent viralement ou sont colportées ou diffusées sciemment par certains qui ont trouvé dans internet l’exutoire de leurs frustrations… Je crois que nous avons atteint le paroxysme de cela au moment de l’émergence du mouvement des gilets jaunes et de ce torrent de haine gratuite et anonyme qui s’est tristement déversé.

Dans mes différentes pérégrinations, j’ai eu l’occasion de le dire et l’affirmer, notre démocratie n’est pas éternelle, on le voit au travers du difficile équilibre entre sécurité et liberté qui est de plus en plus souvent arbitré au détriment de cette dernière. L’ombre populiste nous menace et la liberté de la presse est pour la démocratie son meilleur rempart. Défendons-la tous ensemble !

Amitiés,
Philippe FOLLIOT

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