Pérégrinations autour d’un mot : NAUFRAGE

| 2 AVR. 2020 |

Le naufrage est, selon le dictionnaire, la définition d’une « perte totale ou partielle d’un bateau par un fait de force majeure (engloutissement, bris sur la côte, iceberg…) ». Aujourd’hui, je ne vous parlerai pas des sujets maritimes chers à mon cœur, du naufrage du Titanic ou de celui du Tarnais LAPEROUSE sur les récifs de Vanikoro, mais du sens du mot naufrage, sous l’angle « désastre total, ruine naturelle ou morale complète ».

En fait, je voudrais vous parler d’un, qui, pourtant contrairement aux apparences, n’a rien à voir avec le Covid-19 : c’est « le naufrage des civilisations » !

Il est vrai que, au-delà de quelques analystes, 65% des Français étaient d’accord avant l’arrivée du virus pour penser que « la civilisation telle que nous la connaissons va s’effondrer dans les années à venir ». Combien sont-ils aujourd’hui ? Pour sortir du cadre du « café du commerce », ou plutôt aujourd’hui de l’emprise des réseaux sociaux, toute thèse mérite d’être démontrée.

Vous êtes témoins du fait que je mets rarement un livre ou une personne en avant dans mes écrits, mais cette fois-ci je vais faire une exception. Même si je l’ai acheté il y a deux mois, je viens de finir l’excellent essai de l’académicien Amin MAALOUF « Le naufrage des civilisations » (éditions Grasset, janvier 2020).

C’est avec une exceptionnelle lucidité et clairvoyance que l’auteur revient sur les évolutions de son Levant natal pour décortiquer les événements d’hier et d’aujourd’hui et les conséquences et enjeux pour demain. Cette grille de lecture des bouleversements des décennies passées est d’une fulgurance, d’une profondeur et d’une justesse assez impressionnantes.

Fort d’une saga familiale et personnelle riche, Amin MAALOUF puise dans son vécu, dans son expérience, dans ses savoirs, dans ses analyses, dans son approche historique originale, un éclairage qui permet, une fois la lecture simple et limpide achevée, de mieux connaitre « l’Orient compliqué » tel que le définissait déjà en son temps le grand DE GAULLE. De ce creuset original des trois grandes religions monothéistes à la montée des fondamentalismes, notamment dans le monde arabo-musulman, l’auteur, au travers de l’évolution de l’Egypte et d’une analyse sans complaisance du Nasserisme en passant par la « relecture » de la Guerre des Six Jours et ses conséquences sur la question israélo-palestinienne, de la descente aux enfers de sa patrie Libanaise d’origine pour terminer sur le grand retournement de 1979 qui marque, selon lui, le début des « révolutions conservatrices » (élection en octobre 1978 d’un pape Polonais, Jean-Paul II, arrivée au pouvoir de Deng XIAOPING en Chine en décembre 1978, révolution islamique en Iran en février 1979, élection de Margaret THATCHER en Grande-Bretagne en mai 1979…). Il complète sa thèse par une analyse en profondeur des crises pétrolières et leurs conséquences pour enchaîner par la crise du multilatéralisme, les doutes sur le rêve européen et le nouveau « big brother » en route, conséquence de nos successifs reculs des libertés au profit de la sécurité, ainsi que le développement de l’I.A., les enjeux environnementaux… Tout y passe et… magistralement !

La forme est solide, le fond est lumineux, et ce plaisir de lire, pour ne pas
dire dévorer, cet ouvrage, j’espère qu’il sera partagé par le plus grand nombre, car mon intime conviction est qu’après la crise que nous vivons, plus rien ne sera comme avant, et rien de mieux qu’une analyse sérieuse, sereine, sans complaisance mais lucide du passé et du présent pour se tourner vers ce futur que nous devons créer avec dynamisme, volonté et conviction.

Amitiés,
Philippe FOLLIOT

Pérégrinations autour d’un mot : NAUFRAGE