Pérégrinations autour d’un mot : EMPIRE

| 21 AVR. 2020 | 

La définition de ce mot dans le dictionnaire renvoie à la notion de « domination souveraine » ou à « un ensemble de territoires placés sous l’autorité d’un gouvernement central ». Ma réflexion du jour autour de ce mot n’est pas anodine tant il a aujourd’hui une connotation contrastée, pour ne pas dire négative. Bien entendu, je ne vous parlerai pas de l’Empire State Building, de l’Empire des sens, de l’Empire contre-attaque… qui renvoient à d’autres définitions et éléments que je n’ai ni compétence ni envie de développer.

Le Premier Empire, avec le grand Napoléon Ier, comme le second avec son neveu Napoléon III, ont apporté à notre pays du Code Civil aux prémices de la Révolution Industrielle, de la fondation de Grandes écoles au rattachement de Nice et de la Savoie…

En fait, ce n’est pas de cette dimension historique des empires, qu’ils soient ici ou plus loin, multiséculaires ou plus récents, dont il va être question, mais de trois empires qui ne se définissent pas, ou plus, comme tels, de trois empires qui existent bel et bien et qui s’ils n’ont de vocation affichée à dominer le monde, en tout état de cause, à fortement l’influencer.

Ces trois empires correspondent à trois pays, deux très anciens, issus de brillantes civilisations millénaires, la Chine et la Russie, et un plus récent, les Etats-Unis d’Amérique. Ils ont aujourd’hui la particularité, le privilège ou la responsabilité, d’être membres permanents du Conseil de Sécurité de l’ONU.

La particularité de ces trois pays qui comptent parmi les plus étendus au monde, c’est qu’ils se sont construits autour de groupes ethniques originels homogènes (WASP, slaves orientaux, hans) partis de territoires limités (côte Atlantique-nord, plaine de la Volga, région sud de Pékin). L’Histoire de ces pays est aussi affaire de conquêtes, de l’Ouest pour les Etats-Unis et la Chine, de l’Est pour la Russie qui, au fur et à mesure de leur progression ont agrégé, assimilé voire carrément asservi d’autres peuples afin de développer des logiques de centralité, de verticalité voire d’uniformité.

Le développement des transports ferrés, notamment du transsibérien au Qing-Zang (train du Tibet) en passant par les locomotives du Far-West, a joué un rôle majeur et central dans la constitution de ces empires, tout comme les langues (anglais, russe, mandarin) voire les religions, pour ne pas parler des idéologies, aux effets unificateurs, de centralité voire de domination. Ce ne sont pas les Indiens d’Amérique, les peuples de Sibérie, les Tibétains ou les Ouïghours qui diront le contraire, car les logiques d’Etats, pour une grande Amérique, une grande Russie ou une grande Chine, ont fait le reste, et l’on a assisté par le passé, et on assiste aujourd’hui encore, à la négation de spécificités, de langues, de cultures, voire de faits religieux. Le plus surprenant, c’est qu’il y a dans ces trois grands empires une faculté à donner des leçons, à regarder les autres de haut, à nier les problèmes et faits les concernant, donc à faire preuve de cécité pour soi et d’ingérence pour les autres.

Pour moi, il y a un élément qui différencie ces trois empires de deux autres que l’on a aussi qualifiés de coloniaux, le Français et le Britannique, qui avaient, eux, la particularité d’être ultramarins et donc plus éloignés, hétéroclites, différents, qui se sont terminés par la décolonisation et ce sacro-saint principe essentiel : celui du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Même si cela s’est parfois fait dans la douleur avec des blessures que l’Histoire a du mal à cicatriser, aujourd’hui, peut-on assimiler nos outremers à une forme de survivance résiduelle de l’Empire ?  Certains ont parfois la tentation d’assimiler les situations Britanniques et Françaises, où le Commonwealth serait une survivance comme le serait la francophonie, mais la situation est bien différente.

Je crois qu’il est important de rappeler certains faits, par exemple que Fort-de-France en Martinique est Française depuis bientôt quatre siècles (1635), et ce avant même que Perpignan (1659) ou, seulement depuis 160 ans, Nice (1860) ne le soient ! Ensuite, ce qui fait le ciment de la France, dans sa diversité, ce n’est pas l’oppression de la centralité qui viserait à gommer les différences, mais le vouloir vivre ensemble, la liberté de choix et de décision des composantes (voir l’exemple Néo-calédonien) à rester unies, fortes des différences mais conscientes que ce qui rassemble est plus fort que ce qui divise.

N’en déplaise aux empereurs, autocrates ou populistes, cela s’appelle la démocratie et la République !

Amitiés,
Philippe FOLLIOT

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