Les auditions de la commission de la défense

Commision de la Défense et des forces arméesDans le cadre des auditions de la commission de la défense nationale et des forces armées, Philippe FOLLIOT, secrétaire de cette commission, a pu interpeller de nombreux acteurs spécialistes des questions de la défense. Ainsi, il a pu auditionner Monsieur Edouard GUILLAUD, Chef d’Etat Major des Armées, sur les enseignements de l’opération Serval au Mali et notamment sur les capacités d’aérolargages de nos armées, seules puissances à détenir cette force en Europe. De plus, il a participé à la discussion autour du nouveau Livre blanc de la défense présenté par le Ministre de la défense, Monsieur Jean-Yves LE DRIAN, le 22 mai 2013.  Il a ainsi pu lui faire part de ses critiques tant sur le fond que sur la forme en rappelant que les groupes politiques du Sénat et de l’Assemblée notamment n’avaient pas été consultés et qu’une interrogation subsistait sur les recettes exceptionnelles sur lesquelles s’appuyait le budget de la défense. Le mardi 25 juin, il a aussi pu interroger Monsieur Erick IRASTORZA, ancien Chef d’Etat Major de l’armée de terre, sur la question du déploiement du logiciel Louvois et les dysfonctionnements informatiques connus par le Ministère de la défense. Il a rappelé que cela avait eu de graves conséquences sur la vie des personnels et notamment sur leur confiance et leur moral. Enfin, il a participé à l’audition de Monsieur Antoine de ROQUEFEUIL, secrétaire général du Conseil Supérieur de la réserve Militaire, et a pu l’interroger sur l’action civilo-militaire et plus généralement sur l’industrie de la défense et sur la conquête de marchés économiques par notre puissance industrialo-militaire.

Vous pouvez lire ci-dessous la transcription des auditions menées ci-dessus :

Audition de l’amiral Édouard Guillaud, chef d’état-major des armées (CEMA), sur les enseignements de l’opération Serval, mercredi 22 mai 2013.

M. Philippe Folliot. Je voudrais d’abord rendre hommage à l’action de nos hommes sur le terrain : nous avons réussi au Mali ce que les Américains n’ont pas été capables de faire en Somalie. Ma question porte sur nos capacités d’aérolargages. L’action du deuxième régiment étranger de parachutistes et du dix-septième régiment du génie parachutiste lors de l’opération Serval a montré toute l’utilité des moyens dont nous disposons dans ce domaine : quels enseignements en tirer, sachant que nous sommes désormais les seuls en Europe à maîtriser l’ensemble de ces savoir-faire ?

Amiral Édouard Guillaud. Si d’autres pays en Europe ont des compétences en matière d’aérolargage, la France est en effet le seul à les posséder toutes. Il nous faut préserver l’essentiel en ce domaine et c’est là l’un des points délicats du projet de loi de programmation militaire car, si l’on peut perdre un savoir-faire en quelques mois, il faut plus de dix ans pour le retrouver. Dans les zones dont nous parlons, la qualité de l’air et l’absence de végétation font que l’on entend un avion – et même un drone – à plusieurs dizaines de kilomètres ; d’où la nécessité de largages à grande distance et à très grande hauteur. Le largage « sous voile » requiert d’ailleurs une formation particulière, non seulement des chuteurs opérationnels, mais aussi des pilotes. Nous veillons à préserver cette compétence dans le cadre de la loi de programmation, mais nous serons peut-être contraints à des choix budgétaires ; c’est pourquoi je ne puis prendre d’engagements en la matière.

Audition de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense, sur le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, mercredi 223 mai 2013.

M. Philippe Folliot. Tout d’abord une remarque sur la forme : pour la première fois dans le cadre de la rédaction d’un Livre blanc, l’ensemble des groupes politiques de l’Assemblée nationale et du Sénat n’a pas été auditionné. Sur le fond, ce Livre blanc est une esquisse, qui fait l’objet d’appréciations soit trop élogieuses, soit trop critiques. La vérité se situe sans doute entre les deux. Je pense qu’un point mérite une attention particulière : il s’agit des recettes exceptionnelles. Au vu des enseignements du passé récent c’est un enjeu majeur, d’autant plus que le principe d’unité budgétaire rend difficile l’obtention de garanties sur l’affectation de telles recettes. Pourriez-vous nous préciser quels sont les montants attendus et leur origine ? N’y a-t-il pas une certaine contradiction entre le souhait d’obtenir pour la défense des recettes de cessions immobilières et, dans le même temps, le fait de faire peser une obligation de décote sur les cessions réalisées par les opérateurs publics en vertu de la loi sur la mobilisation du foncier public en faveur du logement ?

M. le ministre. Il est prévu que les recettes exceptionnelles s’élèvent au total à 5,9 milliards d’euros sur six ans ; ce montant doit être rapporté au total des dépenses prévues pour la défense sur la même période, soit 179,2 milliards d’euros. Une très grande vigilance s’imposera naturellement pour ces ressources inscrites dans la loi de programmation militaire. Je note à cet égard que le Président de la République y a apporté sa garantie lors de la présentation du Livre blanc. Ces recettes sont constituées essentiellement par les cessions immobilières, qui nous reviendront en propre, par la vente de fréquences et peut-être par une part de cessions d’actifs par le biais de l’agence des participations de l’État, si cela s’avérait nécessaire.

Audition du général (2 S) Erick Irastorza, ancien chef d’état-major de l’armée de terre, sur la question du déploiement du logiciel Louvois, mardi 25 juin 2013.

M. Philippe Folliot. Le ministère de la Défense a certes connu de grandes difficultés avec le logiciel Louvois, mais les dysfonctionnements informatiques relatifs au versement du RSA coûteraient 800 millions d’euros par an en trop-perçus par les bénéficiaires de ce complément de revenu, situation qui ne semble émouvoir personne. Il ne faut pas minimiser les conséquences des erreurs du logiciel Louvois sur la vie des personnels. Je ne suis pas convaincu qu’un autre corps social que celui de l’armée aurait accepté cette situation. Ces dysfonctionnements ont pu toucher le moral et la confiance des militaires, et ils ont montré les limites de la séparation entre les fonctions opérationnelles et celles de support. N’avons-nous pas trop négligé ces dernières ?

Général Elrick Irastorza. C’est sur cette question fondamentale que repose l’essentiel de la réforme et, notamment, la création des bases de défense (BdD) – tant décriées il y a quelque temps. Les BdD possèdent une vertu majeure, celle de séparer clairement l’outil militaire stricto sensu de ce qui l’est moins ou de ce qui ne l’est pas. Nous pallions autrefois l’insuffisance des systèmes par des transferts d’effectifs des compagnies de combat vers les entités administratives. Cette division n’opère cependant pas de césure entre l’opérationnel et ceux qui le soutiennent – ces derniers pouvant également être engagés sur les théâtres d’opération au péril de leur vie. J’ai soutenu la mise en œuvre des BdD et je regrette amèrement qu’une telle réforme soit critiquée par amalgame avec l’échec de Louvois. Les soldats vont sur le terrain, prennent des risques au Mali et en Afghanistan, et l’on constate qu’ils ne sont pas payés du fait de dysfonctionnements d’un logiciel. Ces situations jettent l’opprobre sur les fonctions de soutien, alors que des moyens informatiques performants pourraient nous permettre de réduire sensiblement nos effectifs et d’abaisser le ratio entre soutenants et soutenus.

Audition du contre-amiral Antoine de Roquefeuil, secrétaire général du conseil supérieur de la réserve militaire, mercredi 26 juin 2013.

M. Philippe Folliot. Certains événements, par exemple le Tour de France, ne pourraient pas se dérouler s’il n’y avait pas la réserve de la gendarmerie notamment. Co-auteur, pendant la précédente législature, d’un rapport parlementaire sur les actions civilo-militaires, je vous rejoins sur la succession de deux phases totalement distinctes. D’abord, les actions civilo-militaires parallèles à la présence de nos troupes ont pour but l’acceptation par les populations civiles, dans le cadre d’un conflit asymétrique, de la présence de nos forces. Au début des opérations, dans la phase d’intervention, la présence de l’action civilo-militaire est quasiment nulle. Dans la phase de stabilisation, elle monte en puissance. Puis, au fur et à mesure que nos forces quittent le théâtre, son rôle prend de l’importance. Mais quand il n’y a plus de troupes sur place, les actions civilo-militaires n’ont plus de raison d’être. Le problème de fond de notre organisation, c’est que rien ne vient réellement prendre la suite sur le plan économique, notamment pour la conquête de marchés. Dans des pays solvables dont les ressources peuvent être exploitées, en Afghanistan par exemple, la Chine n’a pas envoyé le moindre soldat sur le terrain mais elle est très douée pour prendre tous les marchés d’exploitation des mines, les marchés d’assainissement dans les grandes villes et bien d’autres dans lesquels nous avons tout de même des savoir-faire. Nous avons parfois connu des situations à ce point ubuesques que nous avons été totalement incapables de tirer la moindre retombée économique, comme au Kosovo. Il s’agit là, toutefois, d’un aspect totalement distinct des actions civilo-militaires à proprement parler. Ma question a plus à voir avec l’industrie de la défense. À l’occasion de salons internationaux, certains industriels étrangers n’hésitent pas à faire venir des réservistes en uniforme sur leur stand pour promouvoir leurs produits. Pour notre part, nous nous montrons réticents à l’égard de telles pratiques. Qu’en pensez-vous ?

Contre-amiral Antoine de Roquefeuil. En France, les réservistes opérationnels sont employés dans des structures militaires. Il n’est pas encore là le temps où on les mettra au service d’une industrie ou d’une entreprise particulière. D’autres pays ont moins de préventions que nous vis-à-vis de telles pratiques, mais en France on se l’interdit complètement : elles n’entrent pas du tout dans les missions dévolues à la réserve.

M. Philippe Folliot. C’est peut-être un tort.

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