La Planète, grande oubliée du mouvement des « gilets jaunes »

| 13 JAN. 2019 |

L’épisode 9 du mouvement des « gilets jaunes » s’est tenu samedi 12 janvier. Alors que la défiance et le dégoût prédominent dans les discours des manifestants, nous tous, représentants élus de la République, préparons le Grand Débat National, qui débutera le 15 janvier 2019.

Le climat de colère et d’incompréhension qui règne dans notre pays ne peut pas continuer de grandir comme il le fait depuis des années, et après avoir éclaté se répercuter ainsi, sans grande évolution, de samedi en samedi.

Les Français, « gilets jaunes » inclus, sont loin d’être indifférents à l’idée de transition écologique. La plupart la soutiennent et l’appellent même de leurs vœux. Une telle taxation, si elle avait été menée avec une vraie pédagogie écologique, et à des fins écologiques, n’aurait peut-être pas abouti au chaos que nous connaissons actuellement.

Les revendications de certains « gilets jaunes » le prouvent, les soucis de respecter la planète, de limiter le réchauffement climatique et de respecter des valeurs humanistes – qui sont trois composantes majeures de l’écologie – sont présents dans tous les esprits. Parmi les 47 mesures qui figurent sur leur liste « officielle », seules cinq sont ainsi ouvertement liées l’environnement :

  • Lancer un grand Plan d’Isolation des logements pour qu’écologie rime avec faire des économies pour les ménages,
  • Utiliser l’argent du CICE pour financer les recherches sur la voiture à hydrogène (plus écologique encore que la voiture électrique),
  • Taxer le fuel et le kérosène à utilisation industrielle pour faire payer aussi les plus gros pollueurs,
  • Cesser immédiatement de fermer les petites lignes de transports en commun (et les services publics « non-rentables »), qui est un préalable à un moindre usage de la voiture,
  • Promouvoir le ferroutage et le transport ferroviaire des marchandises en général pour réduire l’empreinte carbone liée aux transports routiers.

Que sont devenues ces mesures au cours de l’évolution du mouvement ? Elles ont été totalement occultées, au profit de l’expression de la rupture entre la « France provinciale » et les « élites parisiennes ». Il est très dommage, à mon sens, qu’elles n’aient pas été, au contraire, plus largement développées et exploitées. En effet, s’il y a bien un domaine qui pourrait nous mettre tous d’accord, qui pourrait nous servir de nouvel idéal, de nouveau projet commun, c’est bien une certaine idée de l’écologie. Encore faut-il avoir le courage politique et l’envie collective de faire les efforts que réclame ce virage écologique.

Pour cela, commençons par arrêter d’opposer systématiquement « fin du monde » et « fin du mois », comme cela a été fait au début du mouvement. Arrêtons également de croire que l’écologie, du moment où elle n’est pas punitive, est incompatible avec l’économie : elle n’est incompatible qu’avec une certaine vision de l’économie, trop fondée sur les énergies fossiles, le productivisme à outrance et l’hyperconsommation. Pour autant, l’économie écologique existe, elle est déjà à l’œuvre et crée de l’emploi dans de nombreux domaines, qui laissent en outre la part belle à l’innovation. Produire moins ou différemment ne signifie pas s’appauvrir, cela signifie se renouveler, faire fonctionner notre créativité pour générer de la richesse autrement, cette richesse devenant autant humaine qu’industrielle.

À notre époque désillusionnée, où nombre de nos grandes utopies sont mortes, qu’elles aient été politiques, religieuses ou philosophiques, ne serait-il pas temps d’imaginer une forme de révolution environnementale, où chaque être humain pourrait trouver sa place ? Avoir un idéal ne veut pas dire qu’on vive déconnecté des réalités, cela donne simplement un objectif à atteindre, or tendre vers quelque chose pour donner un sens à son existence est absolument vital pour tout individu, comme pour toute société.

Le Grand Débat National qui s’annonce est une formidable opportunité de replacer, par le biais du thème « transition écologique », l’urgence environnementale (qui est, j’insiste, également l’urgence humaniste) au cœur du débat. Les violences auxquelles nous assistons sont le fruit d’une colère, d’une haine désespérée de la part de personnes qui ne croient plus à demain. Seul un revirement écologique total peut désormais nous offrir ce « demain » dont notre société a tant besoin.

Colère, haine et violences, condamnables dans leur façon de se manifester, ne peuvent avoir qu’un temps. Notre nation n’arrivera à rien en laissant certains se hurler dessus sans s’écouter, et camper sur des positions individuelles et individualistes. Comme dans toute relation humaine, il nous faut communiquer pour trouver une issue. Dans notre cas, un divorce où chacun repartirait de son côté n’est pas envisageable puisqu’enfin, nous vivons sur le même territoire et qu’il nous faut bien trouver un moyen de se respecter et coexister ensemble.

Mais pour communiquer d’égal à égal, il faut d’abord mettre de côté les préjugés, le mépris et surtout la désinformation dont certains s’abreuvent sur Internet et les réseaux sociaux. Les prises à parti et les interventions télévisuelles de certains citoyens ces dernières semaines m’ont interpelé sur l’incroyable aptitude de l’être humain à adhérer à des « fausses informations » et à faire les amalgames les plus improbables.

Aussi, je suis persuadé que ce Grand Débat devrait commencer par une phase de réapprentissage de la culture politique de base. Ceci afin que nous repartions dans les discussions avec les mêmes définitions des principes qui fondent notre République. Élus et citoyens peuvent ne pas être d’accord sur tout, voire n’être d’accord sur presque rien, mais pour communiquer, il est important que nous soyons au moins d’accord sur les mots employés, afin que personne ne soit accusé de « jouer sur les mots ». Repenser un projet commun, cela passe aussi par ces considérations linguistiques mais surtout par le respect de l’autre et de ses convictions fussent-elles opposées aux siennes.

Malgré tout, je crois fermement au bon sens et à la bonne volonté de la majorité de mes concitoyens. C’est pourquoi je les enjoins de participer à ce grand élan de communication qui, je l’espère, nous permettra de redéfinir conjointement les conditions de notre vivre ensemble, de penser et de vivre notre démocratie, et de devenir des exemples en Europe et dans le monde en terme de démocratie vivante et de progrès écologique.

Qui sait ? Peut-être l’’adoption d’un idéal écologique nous permettrait-il également de réinventer l’idéal européen ?

La Planète, grande oubliée du mouvement des « gilets jaunes »