La France et son armée

Edito lettre d’information n°97 du 22/07/11

En quelques jours et par trois fois (défilé du 14 juillet, engagements en Afghanistan, et Libye) la France a pu se pencher sur les liens qu’elle entretient avec sa défense. Cela fait longtemps que la question de la nature et de la force du lien armée-nation ne s’est posée aussi fort que ces derniers jours, au Parlement et dans l’opinion, comme du reste la question corollaire des moyens consacrés à notre défense.

Tout d’abord, comme j’ai eu l’occasion de l’exprimer à de multiples reprises à la tribune de l’Assemblée nationale, le métier de militaire n’est comparable à nul autre car au bout de l’engagement il y a le sacrifice suprême, celui de la vie. Au-delà des dimensions les plus altruistes et généreuses visant à verser son sang pour la patrie, c’est surtout en frères d’armes et consciemment que nos militaires prennent le risque de se faire « trouer la peau », non seulement pour réussir leur mission, mais aussi et surtout pour protéger leurs camarades. Nombre de ceux qui ont participé à des actions de combat de haute intensité comme mes amis du prestigieux 8ème RPIMa de Castres en Afghanistan, peuvent en témoigner. De ce lien si spécifique naît une communauté de valeurs qui fait que l’armée est un corps social bien particulier avec ses règles, ses codes, ses principes, bien différents des autres mais où règne une forme de morale républicaine assez exceptionnelle.

En fait, le lien armée-nation nous renvoie dans nos sociétés modernes occidentalisées à nos relations avec la mort et aux capacités de résilience du pays. Les plus cyniques diront que la professionnalisation des armées est une forme d’assurance-vie des civils qui délègueraient, pour ne pas dire paieraient, quelques-uns d’entre nous ayant fait le choix des armes, qui prennent le risque de mourir pour la défense de la République et pour la nation que tout un chacun, dans l’esprit de Valmy, se devrait d’assumer. Mais au-delà se pose la question de « la dictature de l’émotion » médiatiquement bien orchestrée car très vendeuse et de l’acceptation pour la société de la mort de jeunes hommes loin de notre pays dans des contrées reculées pour des buts parfois complexes et souvent incompris. Depuis 2002, soixante-dix de nos soldats sont tombés en Afghanistan, ce lourd sacrifice doit-il être vain ?

Sans vouloir minimiser la chose, 70 tués, c’était le nombre de victimes pendant deux heures de combats à Verdun ou au Chemin des Dames durant la 1ère guerre mondiale : sur la même période cela représente 500 fois moins de morts que sur nos routes ! En fait, plus que de macabres comptabilités, c’est la question de la place de la France dans le monde et du rôle que veut jouer notre pays dans le concert des nations qui se pose. Où que nous soyons et que nous intervenions, nos forces armées le font sous mandat des Nations-Unies dans le strict respect de quelque chose pour lequel la France, mère patrie des « Droits de l’Homme et du Citoyen » s’est toujours battue, le droit international. N’en déplaise aux dictateurs patentés assez fous pour tirer sur leurs propres peuples comme Khadafi à Benghazi, le droit de protection des populations civiles est maintenant reconnu, et leur responsabilité devant les juridictions pénales internationales est établie. Ils devront tôt ou tard rendre des comptes comme ceux qui laissent leur pays sombrer dans un obscurantisme passéiste et devenir des sanctuaires de cette abomination des temps modernes qu’est le terrorisme international.

Par exemple, la protection des populations civiles de Misrata ou le droit à l’éducation des petites filles de Kapissa sont aussi les justifications de nos engagements en Libye et en Afghanistan. Ce sont des causes nobles que nos militaires assurent avec compétence et professionnalisme et en cela ils méritent le respect. Bien entendu, il faudra un jour que nous partions et quittions ces théâtres d’opérations extérieures mais pour que le sacrifice de nos valeureux combattants pour la France, la paix, et le droit international ne soient pas vain, celui-ci doit se faire de manière ordonnée. Il ne faut pas laisser ces pays au chaos et à l’anarchie, ce que rapidement nous aurions à regretter. Les progrès tangibles de la sécurité, de l’accès aux soins, de l’éducation, et du développement que j’ai moi-même constatés dans les vallées afghanes de Surobi ou Kapissa ne doivent pas être balayés par une frénésie émotionnelle médiatico-sondagière bien dangereuse et pernicieuse.

En conclusion, outre la loufoque et stupide proposition d’une candidate à l’élection présidentielle visant à supprimer le si populaire et symbolique défilé du 14 juillet, la nature des relations entre la nation et son armée doit être aussi regardée à l’aune des moyens que consacre la France à sa défense. Avec 2% du PIB nous avons déjà largement touché les dividendes de la chute du mur de Berlin, le tiers de notre effort des années soixante, mais nous sommes loin des 5% de la richesse nationale consacrée à la défense par les américains, et les 10% des chinois.

« Si vis pacem, para bellum », si tu veux la paix, prépare la guerre ; si nous ne voulons pas pour les générations futures que l’Europe en général et la France en particulier dans un monde toujours plus instable et dangereux devienne à terme un condominium sino-américain, nous devons en tirer les conséquences sur les liens de la France et son armée et donc sur les moyens que nous sommes effectivement prêts à y consacrer. Au-delà de notre chère et gaullienne « grandeur de la France », peser sur les affaires du monde et être membre permanent du conseil de sécurité nous ouvre des droits mais aussi des devoirs qu’il serait sage de ne pas oublier.

 

La France et son armée