Interview de Jean Arthuis : Réorienter l’épargne des Français vers le financement des PME françaises

PROPOS Jean ArthuisRECUEILLIS PAR LAURA FORT (Magazine L’argus de l’assurance, 11/03/2011)

En plein coeur des débats sur la réforme de la fiscalité du patrimoine, le président de la commission des Finances du Sénat s’exprime sur les pistes envisagées. Il insiste aussi sur la nécessité d’orienter davantage le placement préféré des Français vers le financement des entreprises.

L’assurance vie va-t-elle faire partie de la réforme sur la fiscalité du patrimoine ?

Je ne connais pas les intentions du gouvernement. En revanche, il est évident que l’assurance vie constitue un élément substantiel du patrimoine des Français, l’encours est certainement supérieur à 1 300 milliards d’euros à la fin 2010, soit près de 15 % du total. Une réforme de la fiscalité du patrimoine

conduit nécessairement à s’interroger sur le statut fiscal de l’assurance vie, et plus globalement à un examen des prélèvements obligatoires qui vise l’ensemble des placements financiers. En raison de l’aversion au risque et de la méfiance que suscitent la complexité et l’instabilité de notre système fiscal, l’assurance vie apparaît comme l’un des placements les plus intéressants. Son statut fiscal peut être qualifié de favorable, donc de nature à susciter l’adhésion des épargnants attentifs aux avantages que consent la fiscalité dérogatoire, au nom, bien sûr, de l’intérêt général.

Considérez-vous l’assurance vie comme une niche fiscale ?

Oui, incontestablement. J’observe qu’elle représente une dépense fiscale d’environ 1 milliard d’euros, selon Bercy. En fait, cette évaluation ne tient pas compte des exonérations sur les transmissions par succession. C’est dire si les optimisateurs sont à l’oeuvre pour tirer le meilleur profit des spécificités offertes par notre loi fiscale. Les assureurs, les notaires et les avocats-conseils en fiscalité trouvent ici un champ propice à l’exercice de leur expertise. S’il devait y avoir une aubaine, la révision du régime trouverait des motifs à s’appliquer. Ce qui devient urgent, c’est la révision générale des niches dont certaines sont devenues source d’injustice. Il est bien évident que tout avantage de cette nature ne peut être consenti que s’il contribue incontestablement à l’intérêt général. À cet égard, il me paraît vital de prendre conscience que notre avenir dépend de notre capacité à orienter notre épargne, notamment nos placements assuranciels vers le financement de l’économie. À ce jour, 56 % de l’encours géré par les compagnies d’assurance sont alloués aux entreprises. Mais l’essentiel s’investit dans celles cotées en Bourse. Il est temps de reconnaître que le potentiel de croissance et de création d’emplois et de vrai pouvoir d’achat dépend largement des PME et des entreprises de taille intermédiaire.

Que préconisez-vous pour que l’épargne soit plus investie dans les entreprises ?

Avant tout, il convient d’aider les Français à vaincre leur aversion au risque dans leurs arbitrages d’investissement. Nous devons comprendre que les dettes souveraines financent des déficits de fonctionnement et que les États surendettés peuvent être en difficulté pour honorer leurs engagements. La Grèce et l’Irlande illustrent cette hypothèse. J’ai l’espoir que les gouvernements vont enfin prendre les dispositions nécessaires pour rétablir l’équilibre budgétaire et tarir définitivement l’émission de dettes publiques. À cet égard, nos marges de progression sont considérables, puisque, pour 2011, nous avons prévu un déficit global de l’ordre de 120 milliards d’euros. Dans cette perspective, les assureurs devront affecter l’épargne qui leur est confiée vers les entreprises. S’agissant de l’assurance vie, je suggère qu’une quotité des fonds détenus soit mise à la disposition d’institutions accompagnant le développement des PME. Dans cet esprit, je propose qu’au moins 1 % des fonds d’assurance vie soit réservé à Oseo [organisme public de soutien aux PME, NDLR]. Dans la phase de sortie de crise, il est indispensable d’utiliser ce levier pour donner l’impulsion salutaire. La frilosité des autres acteurs tend à geler les initiatives et les prises de risque dont nous avons tant besoin pour sortir de l’asthénie.

La fiscalité pourrait-elle être plus avantageuse pour ceux qui investissent en actions ?

La fiscalité doit être aussi neutre que possible. En matière d’épargne, la plupart des réceptacles sont assortis de dispositions fiscales particulières qui se neutralisent tant elles sont nombreuses, complexes et souvent contradictoires. En outre, elles sont coûteuses. La dépense fiscale, non compris l’assurance vie, est de l’ordre de 5 milliards d’euros. Au regard de l’intérêt général, il me semble judicieux de reconnaître les vertus des engagements de moyen et long termes, tout comme les prises de risque au profit de l’économie et de la croissance. Dès lors, les avantages résultant de la fiscalité doivent privilégier les entreprises, en particulier celles qui sont enracinées dans le territoire national, puisque ce sont elles qui participent au combat pour le plein emploi. Cela étant, celles-ci sont confrontées à la compétition mondiale. Tout investisseur avisé décide en fonction des chances de réussite du projet qui lui est proposé. Plus que la fiscalité de l’épargne, c’est avant tout l’ensemble des lois et règlements relatifs à la compétitivité qui est en cause. N’est-il pas temps d’alléger les prélèvements obligatoires qui alourdissent nos coûts de production et suscitent les délocalisations d’activités et d’emplois hors de nos frontières ? Cela dit, j’entends aussi les craintes qu’expriment les assureurs à propos des projets de nouvelles normes prudentielles de Solvabilité 2. Nul doute que les critères d’évaluation des risques doivent traiter plus positivement l’investissement dans les PME.

Sur quelles autres pistes travaillez-vous dans le cadre de la réforme sur la fiscalité du patrimoine ?

Aujourd’hui, le débat se focalise sur l’abrogation du bouclier fiscal et le devenir de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF). Le premier est devenu symbole d’injustice, car il ne s’applique pas au revenu effectif mais au revenu fiscal, c’est-à-dire après déduction de toutes les opportunités offertes par les niches fiscales. Sa disparition semble acquise. Comme il n’est que la mauvaise réponse au mauvais impôt que constitue l’ISF, il convient d’abroger les deux. Cette réforme ne peut altérer le déficit budgétaire et nous devons impérativement compenser les 3 milliards d’euros encaissés par le Trésor public au titre de cet impôt dont les inconvénients sont bien connus. Je propose, d’une part, d’instituer un taux de 45 % dans le barème d’IR pour les plus hauts revenus et, d’autre part, de réviser l’assiette et le barème d’imposition des plus-values mobilières et immobilières. Le débat est ouvert. Je redoute une version intermédiaire, une cote mal taillée, une nouvelle usine à gaz préservant les subtiles optimisations.

La réforme de la dépendance peut-elle aboutir avant les présidentielles ?

Le processus est engagé, et le gouvernement prévoit de soumettre un projet au Parlement à l’automne. Il s’agira vraisemblablement d’une loi-cadre fixant le champ de la solidarité nationale et son mode de financement. D’autres pays, notamment l’Allemagne, ont mis en place un tel dispositif depuis une dizaine d’années. L’État prend en charge une fraction minimale, sorte de filet de sécurité. Au-delà, les familles assument la prise en charge. Celle-ci peut faire l’objet d’une assurance souscrite volontairement.

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