Prairial, Clipperton : journal de bord

La veille de mon retour à terre, j’ai décidé d’écrire ces quelques lignes pompeusement qualifiées « journal de bord » pour vous faire partager mon expérience hauturière à bord de la Frégate de surveillance « Prairial » longue de 93 mètres, développant 2700 tonnes et équipée d’un hélicoptère Alouette 3 qui est le « vaisseau amiral » de la marine en Polynésie ainsi que mes premiers pas sur l’île inhabitée de Clipperton.

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Samedi 25 avril

2h00 du matin heure locale (9h00 en France) : après 24h de trajet depuis Albi via Toulouse, Paris et Mexico, j’arrive à Puerto Vallarta et suis accueilli par « le pacha », le commandant Nicolas ROSSIGNOL, qui aussitôt m’installe dans la chambre pour l’officier de quart que je partage avec Eric CHEVREUIL, un des plus grands connaisseurs de Clipperton, ancien officier de l’armée Française installé en Californie que j’avais déjà rencontré à San Francisco en octobre 2013.

7h45 : réveil en musique entrainante choisie à tour de rôle par l’équipe de quart, suivi du traditionnel rappel « Branlebas, branlebas ! »
Après un petit-déjeuner avec les officiers et la très sympathique Mme Régine LOPEZ, conseillère politique de l’ambassade de France à Mexico, la matinée est consacrée à la visite du bateau « de fond en comble » en compagnie du commandant ou son second.

Après le premier déjeuner au carré des officiers, l’après-midi est consacré à des exercices avec le navire « De la Vega » de la marine mexicaine plus particulièrement axés sur la lutte contre le narcotrafic.

Après diner, je m’effondre dans ma bannette et cap sur Clipperton.

Dimanche 26 avril

Décalage horaire non digéré, je suis réveillé à 4h30 du matin et m’installe seul sur l’aileron bâbord et assiste à mon premier lever de soleil en haute mer … magique !

La journée est consacrée à la fin de la visite de la frégate (parties machines et hélico) et à de longs échanges avec le commandant sur la marine d’aujourd’hui, ses problèmes et atouts, sur la place de la France dans le Pacifique …

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Repas amélioré à midi, avec un apéritif et un excellent Bordeaux : « vive le commandant ! »

Après-midi, visionnage de films, de documents, de photos … sur l’histoire de Clipperton avec le « professeur » CHEVREUIL.

Lundi 27 avril

Divers exercices incendie, tirs (dans la tourelle du navire de 100mm pour moi), sauvetage en mer et journée consacrée à la rencontre avec l’équipage où j’ai la surprise de rencontrer et échanger avec le sympathique cuisinier le maitre JARROT, habitant à Sieurac, près de Réalmont, dans la circonscription. Décidément, le monde est … petit !

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Délaissant le carré des officiers, je déjeune avec les matelots et dine avec les officiers mariniers. Échanges passionnants avec ces derniers sur le métier de marin, la politique et … le rugby ! Je suis tombé sur un fan club du RC Toulon et nous avons refait les finales 2014 pour eux et 2013 pour moi !

Avant qu’il ne soit trop tard, je m’échappe, fatigué du décalage et craignant de tomber dans une … embuscade !

Mardi 28 avril

Arrivée dans la nuit sur Clipperton et lever à 5h30.

6h30 : nous décollons au lever du soleil pour un survol de l’ile, moment exceptionnel.

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7h15 : retour à bord

8h30 : embarquement dans la baleinière pilotée par d’expérimentés tahitiens, franchissement délicat de la houle et accostage sur Clipperton. Accueil chaleureux du chef de la mission scientifique, le professeur Christian JOST, et d’Alain DUCHOCHOY, Secrétaire général de l’association « Clipperton Outre-mer ». 1e choc : il y a des déchets partout, loin de l’image de l’atoll paradisiaque et des milliers et des milliers d’oiseaux (fous masqués) et de crabes …

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Le professeur JOST m’amène au camp de base (6 tentes de l’armée) et nous présente les membres de l’équipe scientifique paritaire (7 hommes et 7 femmes !).

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De ce pas, nous commençons le tour de l’ile à pied et je profite pleinement de l’érudition du professeur JOST et des connaissances d’Éric CHEVREUIL pour me familiariser avec l’Histoire de l’ile et analyser les vestiges des précédentes occupations et échouages … Ce qui frappe, c’est que la nature attaque, rouille, démantèle les imposantes carcasses en ferraille mais ne peut éliminer tout ce qui est en verre et surtout en plastique.

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Vers midi et demi, nous arrivons sur ce qui fait de Clipperton un lieu unique, « le Rocher ». En effet, aucun autre atoll au monde ne dispose d’un tel appendice de blocs sculptés par l’érosion. Haut de 29 mètres, nous entamons l’escalade où je suis souvent 1e de cordée pour atteindre un des sommets avec quelques passages délicats à cause du guano mouillé rendant les accroches particulièrement glissantes ce qui me valut égratignures et odeurs exotiques !

Comme dit l’adage, « après l’effort, le réconfort » et là, ce fut la surprise du chef ou plutôt du commandant avec un pique-nique magistral avec champagne, foie gras, charcuterie, saumon, camembert, salade de fruit, arrosés d’un bon vin de Bordeaux. Décalé mais succulent moment incontournable et … franchouillard !

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Juste le temps de me « reconditionner » et enfiler pantalon et polo pour participer au moment le plus mémorable de cette visite : le hisser des couleurs à la stèle. En compagnie du commandant ROSSIGNOL, du lieutenant Guillaume BAGROS du 2e régiment dragons basé à Fontevraud (chef d’un détachement de six hommes venus au titre du renseignement et de la souveraineté en soutien de la mission scientifique) et d’un matelot du « Prairial », nous avons chanté une Marseillaise particulièrement émouvante compte tenu du lieu et des circonstances, et dévoilé une plaque souvenir pour la première visite d’un parlementaire sur cette île.

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Toute l’après-midi, poursuite du tour de l’ile (12km en tout), examen des anciennes passes, du bois et du camp Bougainville, des épaves, de la faune et de la flore … sous un soleil de plomb qui m’a valu quelques rougeurs !!!

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Après une douche rustique avec deux bouteilles d’eau, installation dans le camp puis repas à la bougie avec rations de combat agrémentées d’une bouteille de la cuvée du 8e RPIMA qu’avait eu la délicatesse de nous préparer le colonel Eric CHASBOEUF, ancien chef de corps, chef d’Etat-major de l’ALPACI et grand absent bien malgré lui de cette mission.

Bien fatigué, nuit réparatrice dans un lit picot non sans avoir été « dérangé » par le balai des visiteurs nocturnes à quatre pattes (rats) ou huit (crabes).

Mercredi 29 avril

Lever aux aurores pour assister sur la plage au lever du soleil, rapide bain dans les eaux tourmentées mais à 29°, petit déjeuner « champêtre » puis recherche d’un piège à insectes avec le professeur JOST suivi d’une visite en Zodiac du lagon et explications sur l’eutrophisation de celui-ci.

Après un déjeuner très frugal au camp Bougainville (du moins ce qu’il en reste), vers 15h rembarquement agité vers le Prairial suivi d’un nouveau tour d’hélicoptère cette fois avec le journaliste-photographe Alain DUGAS et le professeur JOST qui, depuis le ciel, m’expliqueront mieux les enjeux de l’ile, la nécessaire ouverture de passes et les perspectives d’aménagement.

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Le diner au carré des officiers a été l’occasion du premier Retex sur l’opération.

Jeudi 30 avril

Direction Puerto Chiappas au Mexique que nous devons atteindre dimanche matin. Repos, lecture, lessives, sport (vélo d’appartement et course à pied sur le pont) pour une journée de transition.

Vendredi 1e mai

Journée calme sur « le Prairial » avec matinée lecture et après-midi consacrée à un long et passionnant échange avec tous les membres de la mission scientifique. Venant de l’Université de la Polynésie Française, mais aussi de la Nouvelle-Calédonie, de la Réunion et de métropole, son caractère international était rehaussé par la participation de la bouillante et attachante professeure Viviane SOLIS et deux de ces collègues de l’Université de Cancún.

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Vers 19h, soirée barbecue sur le pont d’envol Hélico précédée d’une remise de médailles de l’Assemblée Nationale au commandant qui lui-même m’offrait la coupelle du Prairial. Le poisson frais pêché l’après-midi par les fines gaules de l’équipage fut excellent et ce moment de convivialité entre officiers, officiers marines, matelots et … invités me rappelle ceux si bien organisés par la grande famille du grand 8e RPIMA. Au fait, j’ai retrouvé un ancien « voleur de poules » dans l’équipage, un jeune polynésien qui supporte … Castres !

Samedi 2 mai

Dès le lever, le commandant me « convoque » dans son bureau pour m’informer que pendant la nuit nous nous sommes déroutés pour aller, suite à un renseignement américain, intercepter des pêcheurs supposés illégaux à près de 1000km plus au sud, soit presque deux jours de mer !!! Au lieu de rentrer au port le dimanche à 9h comme prévu, ce sera au mieux … mardi matin !

Je profite de cette journée pour avoir une séance de travail avec les hommes du SHOM (Service Hydrographique de la Marine) qui me rendent compte de leur important travail réalisé pour cartographier l’ile.

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Le soir, le commandant m’autorise à être à ses côtés pour les manœuvres d’approche car suite à des renseignements contradictoires, la trace de nos suspects est perdue. « Le jeu du chat et de la souris » peut commencer, ou plutôt sa variante, comment retrouver « une aiguille dans une botte de foin » ou une barcasse dans l’immensité de l’océan !

Dimanche 3 mai

Lever à 5h, seul non militaire à ne pas être consigné, minute par minute, je suis l’opération et la manœuvre auprès du commandant. Chaque geste, chaque décision compte pour ne pas être repéré. Pas d’écho radar, rien à l’horizon, le soleil se lève sur un océan vide de tous suspects.

6h45, l’hélicoptère décolle et 20 minutes après, l’information tombe : une embarcation est repérée. Une fois les coordonnées puis « branlebas de combat », on fonce dessus pour les intercepter EDO à la mer (Zodiacs des commandos). Dernières consignes du commandant et du second tant sur la sécurité que sur le juridique dont je me rends compte combien il est contraignant pour que l’opération soit réussie. Bientôt, à la jumelle, on aperçoit « trois pêcheurs » dont on apprendra qu’ils sont vénézuéliens et équatoriens « coopératifs » qui par la suite expliquent « avoir été victimes de pirates qui leur ont pris leurs moteurs et se retrouvent ainsi à la dérive depuis trois jours ». Les traces de poudre blanche trouvées au fond de l’embarcation lors d’une fouille (non destructive), après enquête de pavillon accordée par radio par le procureur de … Papeete étant selon eux de … la lessive ! Quelques minutes plus tard, nouveau rebondissement ! L’hélico aperçoit à trois miles de là une autre embarcation couverte d’une bâche bleue avec un nombre indéterminé d’occupants.

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Dédoublement du dispositif, on sécurise et neutralise les 1ers et on fonce sur les seconds. Nouvelle approche, nouvelles procédures, nouvelles révélations. Là, ce sont quatre pêcheurs mexicains perdus au milieu de l’océan qui attendent qu’un gros chalutier (dont ils ne se souviennent plus le nom) vienne les chercher mais ils ne savent pas quand !!! En droit, on ne peut, malgré l’invraisemblance de leurs propos, rien leur reprocher : pas de drogue (elle a certainement été jetée en mer à notre approche) mais que faire de ces pêcheurs et naufragés ? Le commandant propose la sage décision de rapprocher les deux embarcations et de les remorquer tout en leur ayant auparavant donné un peu d’eau et de nourriture pour tenir jusqu’à la côte ! Ils ne se « connaissent pas », mais de cœur ils acceptent !

Lors de ces moments intenses et agités, j’ai pu appréhender le sang-froid et la justesse des décisions du commandant, le professionnalisme et le dévouement de l’équipage constatant simplement, avec stupéfaction, qu’il n’y avait pas un seul gilet pare-balles pour les équipes d’intervention sur le bateau, restrictions de crédits oblige.

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Comme tous les soirs, le commandant m’a convié à la réunion « de briefing et activités » où le rendu de l’opération a été fait et où les mots justes ont été trouvés pour remercier chacun.

Changement de cap et direction Puerto Chiappas. Je profite de l’après-midi pour rédiger une lettre compte-rendu de mission que je compte adresser au Président de la République. Avant le diner, un petit tour au carré des officiers mariniers pour fêter avec eux le nouveau titre de champion d’Europe de … Toulon !

Lundi 4 mai

Je reste au lit jusqu’à 9h où je révise mes dossiers sur Clipperton.

Après un temps de travail avec les hommes du lieutenant BAGROS du 2e RD, je commence à écrire ce carnet de bord. Demain, nous arrivons à 8h à Puerto Chiappas, ville frontalière avec le Guatemala voisin. Vol vers Mexico, déjeuner à 14h à l’ambassade avant un retour sur Paris.

 

Trois conclusions :

  • On peut très bien vivre et travailler dix jours sans téléphone, courriels, internet, tablette, Facebook …
  • Nous avons une marine très professionnelle et pouvons être fiers d’elle.
  • Clipperton est une jachère, un atout pour la France qu’il est urgent de protéger et de valoriser.
Prairial, Clipperton : journal de bord