OPINION. La France, puissance maritime méconnue, peine à valoriser l’atout stratégique que représentent ses territoires d’outre-mer dans l’océan Indien.

Face aux urgences climatiques, géopolitiques et sociales, une nouvelle vision s’impose : faire des outre-mer des piliers de souveraineté et de coopération régionale. À Mayotte, à La Réunion ou à Madagascar, les enjeux se conjuguent. L’heure est venue d’assumer une stratégie océanique ambitieuse, systémique, et durable. Par Ramata Touré et Philippe Folliot

Avec la plus grande superficie de territoire marin devant les États-Unis, en grande partie grâce à l’extension de son plateau continental autour de plusieurs de ses territoires d’outre-mer, la France possède un vaste et inexploité domaine maritime. Pourtant, elle ne dispose pas encore d’une stratégie océanique à la hauteur de cette puissance maritime.

Le déplacement du Président de la République dans l’océan Indien, en avril dernier, devrait, selon nous, ouvrir une nouvelle ère, celle d’une puissance française qui s’assume dans sa dimension maritime, ultramarine et régionale.

Les territoires d’outre-mer ne sont pas des confettis postcoloniaux, mais d’incontournables leviers de souveraineté. Ils constituent des pôles d’équilibre géopolitique et économique, ainsi que des plateformes de résilience vis-à-vis des multiples enjeux de demain.

Grâce à eux, la France est partout, dans tous les océans, sur tous les continents. Cette spécificité, il faut la consolider, la faire vivre, l’assumer pleinement.

Pendant des décennies, ces territoires ont été reportés très loin dans la liste des priorités d’un État français centré sur sa métropole, qui a négligé leurs problématiques propres, mais aussi les bénéfices qu’il pouvait retirer d’une plus large coopération et d’une juste reconnaissance des communautés et des citoyens qu’ils abritent.

Dans le sud de l’océan Indien, Mayotte se retrouve ainsi au centre de tensions à la fois climatiques, migratoires et géopolitiques. Alors qu’une crise de l’eau sans précédent se prolonge depuis 2023, en décembre 2024, le cyclone Chido a détruit 90 % des structures de l’île, révélant sa vulnérabilité extrême, mais aussi un incroyable élan de solidarité.

Le plan de refondation annoncé — 3 milliards sur six ans, dont 500 millions la première année — est un premier pas. Nous espérons qu’il deviendra un modèle intégrant sécurité, reconstruction, emploi et adaptation climatique, dans une même dynamique.

Mais la crise migratoire reste un angle mort. Tant que la précarité structurelle, l’insécurité juridique et la diplomatie régionale ne seront pas pensées comme un tout, nous ne ferons que gérer l’urgence.

L’intégration de Mayotte à la Commission de l’océan Indien, tout comme la reconnaissance de la souveraineté française sur les îles Éparses et Tromelin, doivent constituer une étape décisive, montrant que la France est pleinement reconnue dans son rôle régional. Toutefois, de telles perspectives ne sauraient porter leurs fruits qu’à condition de le faire dans le respect des identités locales, et dans une vision partagée et coopérative, fondée sur la confiance réciproque — or cette confiance s’est bien effilochée au cours des dernières années.

La Réunion, quant à elle, est à la fois en première ligne des chocs climatiques et en avance sur les réponses à y apporter. Cyclone Garance, chikungunya : ici, la mer est à la fois menace et matrice.

La création d’une zone franche élargie dans l’Est doit être vue comme la première étape d’un élargissement progressif pour structurer, sur l’ensemble du territoire, une économie bleue durable, génératrice d’emplois maritimes. Les efforts de l’île dans la mise en place et la promotion d’une agriculture régénérative, ainsi que dans l’innovation énergétique doivent également être encouragés et soutenus dans la durée.

La Réunion pourrait devenir un pivot de coopération régionale dans l’océan indien, encore faut-il qu’elle soit dotée des leviers diplomatiques, militaires, économiques, scientifiques, portuaires et aéroportuaires nécessaires pour incarner cette ambition.

La visite du Président à Madagascar, avec la symbolique restitution mémorielle du roi Toera et la signature de nouveaux accords dans les domaines de l’énergie et de l’agriculture, devrait ouvrir une nouvelle page de la diplomatie française. Ce n’est pas un simple geste historique : c’est une base pour refonder les liens entre la France et ses voisins de l’océan Indien, sur un rapport non de domination, mais de coopération.

Les outre-mer doivent devenir les relais de cette stratégie d’influence partagée, pas comme des postes avancés isolés, mais comme des intermédiaires de choix entre Europe et Afrique, Nord et Sud, tradition et transition.

La France ne peut plus penser son avenir stratégique sans ses outre-mer, et ses outre-mer ne peuvent plus être perçus comme de simples périphéries.

Ces territoires ne réclament aucun privilège, seulement d’être considérés comme ce qu’ils sont : la France, pleinement, pas des « bagnes à ciel ouvert » où envoyer ceux dont la métropole ne veut pas. Ce genre d’affront d’un autre temps ravive sans cesse des blessures qui ne demandent pourtant qu’à se refermer.

Dans l’océan Indien comme ailleurs, ils sont des lieux de puissance, de résilience, de souveraineté, tant par leur positionnement géographique que par les ressources naturelles dont ils disposent, qui sont autant de moyens pour la France d’accéder à plus d’autonomie dans un monde où les tensions liées à l’approvisionnement en énergie et en matières premières vont aller croissant.

Nous devons aujourd’hui répondre aux besoins de notre époque, sans ruiner notre avenir ni celui de nos enfants. Le développement durable, ce n’est pas un gros mot. C’est du bon sens. Ça ne devrait pas être punitif. Ça devrait constituer une vraie opportunité pour nos territoires.

C’est pourquoi nous appelons à une véritable stratégie française des outre-mer dans l’Indopacifique, enfin ! Cette stratégie doit investir dans la défense à travers le renforcement significatif de nos forces de souveraineté, dans la formation, l’emploi et l’innovation maritime, articuler sécurité, écologie et économie de manière systémique, renforcer les partenariats régionaux dans un cadre équilibré, faire des outre-mer les architectes, et non les simples bénéficiaires, de notre souveraineté partagée.

La mer est notre avenir, les outre-mer, notre boussole, l’Océan Indien, notre figure de proue.

https://www.latribune.fr/idees/tribunes/opinion-puissance-maritime-puissance-ultramarine-les-outre-mer-et-le-sud-ouest-de-l-ocean-indien-a-la-croisee-des-souverainetes-1025418.html

OPINION. La France, puissance maritime méconnue, peine à valoriser l’atout stratégique que représentent ses territoires d’outre-mer dans l’océan Indien.