ENTRETIEN. L’île française de Clipperton se situe dans une zone extrêmement convoitée pour ses richesses minérales dans les fonds marins. Or, Donald Trump vient d’autoriser les entreprises américaines à forer dans les eaux internationales à proximité. Aux yeux du sénateur du Tarn Philippe Folliot, c’est le moment pour la France d’affirmer sa souveraineté sur l’île, comme il l’explique à La Tribune.
Lundi 28 avril, Donald Trump a signé un décret permettant aux entreprises américaines d’exploiter les ressources minérales des fonds marins, y compris dans les eaux internationales. Cette décision, prise au mépris du droit international, a déjà suscité l’intérêt d’une entreprise qui a déposé mardi le premier permis mondial d’exploitation. Ce dernier demande de pouvoir exploiter les nodules polymétalliques – roches gorgées de minéraux – dans la zone de Clarion-Clipperton dans l’Océan Pacifique, à proximité directe de l’île française de la Passion-Clipperton , souvent abrégée en Clipperton.
Philippe Folliot, sénateur du Tarn (Alliance centriste, allié au parti présidentiel), est le seul élu à s’être rendu sur cette possession composé d’un unique atoll d’une superficie de près de 2 kilomètres carrés. Dans un rapport rendu en 2016, il rendait déjà compte de la détérioration de l’île et du manque de présence française. Aujourd’hui, compte tenu des enjeux économiques importants dans les fonds marins, ce manque de présence inquiète le sénateur quant à la souveraineté française sur l’île.
PHILIPPE FOLLIOT – Avec la brutalité qu’on lui connaît, Donald Trump permet désormais aux entreprises américaines d’exploiter les fonds marins, dans les eaux internationales. Il faut analyser cette annonce au regard du contentieux sino-américain. Les Chinois, aujourd’hui, contrôlent une grande partie du marché des terres rares. C’est donc une façon pour Trump de dire « moi je vais contourner, si jamais les Chinois ne veulent plus me livrer des terres rares, mais je vais aller chercher dans les océans ». Il y a donc des enjeux géostratégiques, des enjeux de partage des richesses et également des enjeux environnementaux.
Mais pour la France, il y a un enjeu de souveraineté. L’endroit où il y a le plus de nodules polymétalliques dans le monde, c’est la zone Clérion-Cliperton, qui est grosso modo située entre l’île de la Passion-Cliperton et Hawaii, pas trop loin des États-Unis et du Mexique. L’île de Clipperton est française et sa zone économique exclusive est de 435 000 kilomètres carrés. À titre de comparaison, la zone économique exclusive de la France hexagonale, c’est 345 000 km². Tout l’enjeu est donc de savoir où Donald Trump va aller, et s’il va à proximité de notre ZEE cela posera un vrai problème : celui la souveraineté française sur l’île.
Est-ce que cela veut dire que la souveraineté française sur l’île est fragile au regard du droit international ?
Non, la souveraineté française sur l’île est solide aux yeux du droit international. Elle est actée depuis 1931, à l’issue d’un contentieux avec le Mexique lors duquel Victor Emmanuel II, roi d’Italie avait tranché en faveur de la France. Donc, sur un plan juridique, c’est acté. En revanche, le véritable enjeu c’est l’exercice de cette souveraineté… On ne l’exerce pas actuellement. Il y a bien un acte symbolique avec un passage une fois par an de la Marine nationale afin de repeindre la stèle et mettre de nouveaux drapeaux, mais ce n’est pas suffisant.
Donc, si quelqu’un voulait s’approprier l’île, il n’aurait pas de problème. Il pourrait également mettre en avant des éléments de captation de ressources, ce que peut faire Donald Trump sur l’exploitation minière des fonds marins. C’est, d’ailleurs, ce que font déjà les Mexicains en captant une partie des ressources halieutiques de la zone, notamment du thon blanc. Ensuite, il pourrait mettre en avant la lutte contre l’utilisation de l’île comme base arrière des narcotrafiquants, ce que la Marine nationale constate à chaque passage.
Enfin, la personne qui souhaiterait s’approprier l’île pourrait faire valoir une approche environnementale, car elle est jonchée de déchets et remplis de rats. Si demain la Chine envoie une équipe pour nettoyer l’île et la dératiser, la France protestera naturellement mais avec difficulté car Pékin fera ce que Paris n’a pas fait. Et puis, la Chine pourrait demander à son équipe de rester six mois de plus, pour surveiller etc. C’est ce qu’ils ont fait en mer de Chine du Sud.
Quelle serait la solution pour assurer une souveraineté de l’île ?
Il faudrait installer une base scientifique à vocation internationale. Dans le livre que j’ai écrit avec Christian Jost, La Passion-Clipperton : une île sacrifiée, aux éditions La Biblioteca, nous démontrions également comment on pouvait financer cette installation, en mettant fin à la gratuité des licences de pêche dans la zone pour les pêcheurs mexicains, ce qui rapporterait environ 2 millions d’euros par an.
L’objectif est de copier le modèle que nous avons déjà dans les terres australes. À Crozet et à Amsterdam, nous avons trois bases scientifiques et des présences dans les îles Éparses. De même, on a su réaffirmer notre souveraineté dans nos eaux autour de Kerguelen. Nos ressources étaient pillées dans le cadre de la pêche à la légine. On a saisi en 2013 un bateau coréen qui pêchait illégalement et les pêcheurs ont diminué par la suite.
La France a-t-elle, selon vous, diminué voire perdu de sa souveraineté sur d’autres territoires dans la zone indo-pacifique ?
Nous avons une stratégie indo-pacifique mais nous ne faisons pas assez d’efforts pour les forces de souveraineté. Il y a 40 ans nous avions 15 000 personnels en force de souveraineté, c’est-à-dire les forces qui sont déployées dans les départements et collectivités d’outre-mer. Désormais il y en a entre 7 et 8 000. De même, il y a une quinzaine de bases de l’armée de l’air en France, toutes dans l’hexagone, aucune en outre-mer. Quant à la Marine nationale, plus de 90 % des moyens, en tonnage, sont dans l’Hexagone alors que 97,5 % de notre zone économique exclusive se situe en outre mer.
Pensez-vous que la décision de Donald Trump puisse servir de réveil sur ce sujet ?
Je l’espère. La situation est très compliquée et nous ne devons pas nous retrouver devant le fait accompli d’une présence étrangère sur Clipperton. En y installant une base scientifique on marque un intérêt et un aspect dissuasif. Bien sûr, les scientifiques n’auront pas les moyens de surveiller ce qui se passe dans les fonds marins de la Zone économique exclusive française, mais il y aura déjà plus de moyens.
L’île de la Passion-Clipperton est la seule possession française dans le Pacifique Nord, où tout le monde annonce que l’avenir du monde se jouera parce qu’il y a les États-Unis, le Canada, la Russie, le Japon, la Chine. Mais la France y est aussi !