La trêve estivale est l’occasion pour moi, par le temps libre accordé, de pouvoir plus qu’à l’accoutumée m’exercer à une activité essentielle et fondamentale, la lecture. C’est ainsi que j’ai eu loisir et plaisir dans « Rallumer tous les soleils » (Édition Omnibus) de lire ou relire nombre d’articles ou d’interventions à « la chambre des députés » du plus illustre de mes prédécesseurs parlementaires tarnais, je veux bien entendu parler du grand Jean Jaurès. Je ne suis pas son héritier politique, et je me garderai bien d’en revendiquer quoi que ce soit mais j’ai une certaine fascination pour ne pas dire admiration pour le parlementaire qu’il a été, pour le journaliste qu’il a été, pour le tribun qu’il a été, pour le penseur qu’il a été, pour l’homme qu’il a été.
Au-delà de l’histoire de son parcours politique que l’on peut retrouver du musée Jean-Jaurès à CASTRES, sa ville de naissance au pédagogique Centre jauressien de Pampelonne, aux innombrables traces qu’il a laissées avec son piédestal à Carmaux ou dans le patrimoine industriel, grâce à la verrerie ouvrière d’Albi (aujourd’hui sous contrôle d’un fonds de pension brésilien !), on peut mieux cerner l’homme, la personnalité qu’il a été au domaine de Bessoulet, magnifiquement restauré et mis en valeur par la municipalité de Villefranche-d’Albigeois, qui a récemment obtenu le reconnu label « Maison des illustres ».
Comme je l’ai mentionné plus haut, c’est surtout dans les écrits de l’illustre Jean Jaurès que l’on puise la quintessence de ses apports à la pensée socialiste, assurément, à la pensée universelle, certainement. C’est dans ce cadre que je me suis, entre autres, plongé dans une lecture intégrale et attentionnée de son célèbre discours à la jeunesse du 30 juillet 1903, devant les élèves du lycée d’Albi : la postérité a retenu « Le courage, c’est d’aimer la vie et de regarder la mort tranquille : c’est d’aller à l’idéal et de comprendre le réel, c’est d’agir et de se donner aux grandes causes, sans savoir quelle récompense réserve notre effort, l’univers profond, ni s’il lui réserve une récompense. Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire… »
Alors que l’on sentait les prémices de la terrible déflagration qu’allait être la Première Guerre mondiale « la sombre nuée de la guerre », qu’une inquiétude légitime pouvait parcourir son jeune auditoire, au-delà des références très jauressiennes (laïcité, lois sociales, unité des socialistes…), c’est au contraire un message fort, plein d’espoir, un véritable hymne à la vie « vivante, sincère et pleine » qu’il déclame.
Il rajoutait enfin « Dans notre France moderne, qu’est-ce donc la République ? C’est un grand acte de confiance. ». Ces propos résonnent-ils toujours encore 122 ans après ? À l’heure où les populistes progressent dans notre pays, qu’ils ont pris le pouvoir aux États-Unis d’Amérique, où le souffle du conservatisme remplace le vent de la liberté, dans cet environnement délétère, qu’en est-il aujourd’hui ?
Si nous sommes institutionnellement bien ancrés en République, et de par son lien au temps et sa sagesse le SÉNAT y contribue grandement, nous avons de lourds défis à relever si les inégalités se creusent dans notre pays qui est pourtant celui où la fiscalité et les prélèvements sociaux redistributifs y sont les plus élevés. Il y a dans notre République une inégalité encore plus prégnante et qui semble se creuser toujours plus : c’est l’inégalité des chances.
C’est donc cet enjeu auquel je suis particulièrement attaché, ne serait-ce que parce qu’à certains égards j’en ai profité, c’est « l’ascenseur social ».
Aujourd’hui il est en panne ! Boursier, fils d’ouvrier agricole, j’ai certes travaillé pour me payer des études mais grâce à l’école publique, à mon investissement professionnel dans le secteur du logement social, à la confiance de mes concitoyens et élus, mais aussi grâce à des rencontres marquantes, j’ai pu m’élever personnellement ou dans la hiérarchie sociale et publique. Rien ne fut facile. Je ne suis pas un héritier tant sur un plan personnel que politique, c’est surtout le fruit d’un travail long et acharné qui m’a permis cela.
Mais je le vois bien autour de moi alors que nombre de mes camarades d’origine modeste de l’école publique de Saint-Pierre, du collège des Cèdres ou du lycée de la Borde Basse à Castres ont pu devenir médecin, avocat, professeur, cadre dirigeant ou chef d’entreprise, officier ou haut fonctionnaire… nous avons le sentiment que s’élever pour les générations suivantes a été et est beaucoup plus difficile.
Une des raisons majeures de cette situation, c’est ce que certains appellent l’effondrement de l’école publique ou tout au moins d’une partie de l’école publique. Selon les évaluations de l’Éducation nationale elle-même, un élève de sixième sur 4 présente de graves difficultés de compréhension des textes et la France se trouve 16e sur 19 en apprentissage de la lecture au sein de l’Union européenne. Malgré les efforts des collectivités pour maintenir des bâtiments de qualité, son administration, la succession de réformes mal préparées, la dévalorisation du métier d’enseignant, la démission de certaines familles, la violence de la société jusque dans les établissements… Les causes sont multiples mais les conséquences, c’est que pour les plus méritants et volontaires des élèves issus des classes les plus défavorisées, c’est de plus en plus difficile de réussir.
Il y a une forme de déterminisme social et de reproduction des élites dans notre société qui est selon moi des plus inquiétants et cela, pour certains jeunes, notamment issus des classes populaires, peut heurter la confiance en la République.
Alors que depuis plus d’un siècle nous avons connu, génération après génération, un progrès extraordinaire en matière d’éducation, de santé, d’espérance de vie, de confort matériel, de capacité à se déplacer, nous ne sommes pas sûrs, au moment où devant les conséquences du changement climatique et face à une situation internationale des plus tendues, nous avons « cramé la caisse » et laissons quatre dettes abyssales aux générations futures et que plane le spectre du vieillissement et de la baisse de la population, pointe la révolution de l’intelligence artificielle et ses conséquences, je répète : nous ne sommes pas sûrs qu’il en soit de même pour nos enfants et petits-enfants.
Faire confiance en la République, c’est aussi le vouloir, car vouloir c’est pouvoir. Ce sont ces symboles auxquels nous sommes attachés : drapeau et hymne en premier, c’est l’Histoire du roman national qu’il faut savoir, apprendre, compter et valoriser auprès des plus jeunes, ce sont ces moments de communion partagée autour de grands événements sportifs (Jeux olympiques, Coupe du monde de football, de rugby…), c’est l’émotion collective, quelle que soit la religion, au moment de l’incendie puis de la réouverture de la magnifique cathédrale Notre-Dame de Paris, ce sont aussi ces élus qui pensent prochaine génération plutôt que prochaine élection. Ce sont ces exemples militaires, assurance-vie de la nation, c’est aussi cette volonté partagée de continuer à construire, main dans la main, l’Union européenne avec les autres peuples du continent. Et c’est enfin la volonté déterminante et déterminée de défendre notre pays, notre République, notre démocratie, nos valeurs…
Dans les pas de Jaurès, le courage c’est de chercher la vérité et de la dire : « Ayons confiance en la République », comprenant le réel, certes, mais aussi allons à l’idéal.
Amitiés
Philippe Folliot