Guerre et paix

« La guerre est morte, nous l’avons tuée. »


C’est ainsi que titrait Le Progrès de Lyon en novembre 1918. L’amnistie allait mettre un terme définitif à cette effroyable boucherie qu’avait été la Première Guerre mondiale.

Mais nous savons désormais ce qu’il en est advenu, vingt ans plus tard.

Aujourd’hui, je pourrais dire : « La guerre semble morte, nous l’avons oubliée. »

Effectivement, cela fait 80 ans que, sur le sol hexagonal, nous ne l’avons pas connue. Et avec elle, notre mémoire — individuelle, familiale, collective — s’est estompée. Nous avons oublié les affres de la guerre, les privations qu’elle impose, les destructions qu’elle entraîne, les souffrances qu’elle inflige, et cette longue litanie de morts qu’elle provoque…

En réalité, nous avons oublié le risque de guerre.

La guerre n’a pas de rationalité. Par essence, elle est absurde sur les plans économique, financier, et surtout humain. Depuis la nuit des temps, on a guerroyé pour sa tribu, pour sa cité, pour son comté, pour son royaume, pour son empire, pour son pays, pour sa religion, pour ses idées, pour sa révolution…

À l’échelle du temps long, ces huit décennies de paix que nous avons connues constituent une forme d’anomalie. Une heureuse anomalie. Même si notre pays a traversé les conflits liés à la décolonisation, même si nos forces armées ont souvent été engagées dans des opérations extérieures pour le maintien de la paix, cela restait loin, loin des yeux, loin du cœur.

L’ordre international issu de la Seconde Guerre mondiale, fondé sur le multilatéralisme et la volonté ferme de faire prévaloir le droit sur la force, est aujourd’hui en train de voler en éclats. Sous les coups de boutoir de Vladimir Poutine — 2008, 2014, 2022 — les Géorgiens, puis les Ukrainiens à deux reprises, en ont été les victimes. À cela s’ajoute l’illisibilité politique de Trump II, dont les déclarations sur l’Ukraine, le Groenland ou le Canada bafouent le droit et légitiment la force.

Face à ce bouleversement systémique, nous ne sommes dorénavant sûrs que d’une chose, c’est que nous ne sommes sûrs de rien. Alors que nos certitudes volent en éclats, au premier rang desquelles la confiance infaillible dans l’allié américain dont le parapluie nucléaire et conventionnel ne nous protège plus systématiquement, mais nous protégera de manière aléatoire.

La France, dans tout cela, voit sa position de toujours sur l’Europe de la défense légitimée, et la vision gaullienne revigorée. Notre singularité, avec une armée conventionnelle opérationnelle et efficace bien qu’échantillonaire et une dissuasion nucléaire indépendante et crédible nous protège, certes, et protège les intérêts vitaux de la nation. Mais jusqu’à quand ? Jusqu’où ?

L’Europe a été un facteur essentiel de cet intermède de paix que nous avons connu, mais ce géant économique n’a pas, et j’espère que bientôt nous pourrons dire n’avait pas, de stratégie de défense à la hauteur des enjeux. Face à cette crise majeure, méditons que le mot « crise », en chinois, est la juxtaposition de deux signes : l’un signifiant danger, l’autre opportunité.

Le danger, nous le voyons, de loin pour l’instant mais nous le voyons. Le danger est dans les déclarations de Trump, dans l’activisme Chinois et dans les actes de Poutine… Le danger tous les jours, les valeureux Ukrainiens, eux, le côtoient.

L’opportunité, c’est que l’Europe prenne enfin son destin en main ; pour qu’avec l’addition des forces armées nationales et sa base industrielle et technologique de défense propre, elle assume enfin son autonomie, sa liberté, son indépendance !

Cela demandera de très lourds sacrifices, car atteindre l’objectif qui nous sera assigné des 3 % du PIB consacrés à la défense en 2030 nécessitera 10 milliards d’euros de plus par an, et ce, dans le contexte politique et financier que l’on connaît. Cela demandera de très lourds sacrifices, car nul ne sait quand et dans quelles conditions s’arrêtera le conflit ukrainien.

Sachant qu’un arrêt des combats voire une « victoire » du dictateur russe, sans les garanties de sécurité pour les Ukrainiens, entraînera vraisemblablement un nouveau conflit en Ukraine mais je le crains, peut-être une nouvelle attaque ailleurs. En ce sens, les pays baltes risquent d’être les prochaine cibles et Poutine le fera pour y « secourir les minorités russophones menacées ». Bis repetita !

Là, ce sera une toute autre histoire. Car nous y serons doublement engagés, au titre de l’article 5 de l’OTAN et de l’article 42 paragraphe 7 de l’Union européenne, qui autant l’un que l’autre nous obligent à un devoir de solidarité. À ce moment-là, nous serons en guerre, peut-être pas directement sur notre sol, mais nous serons en guerre pour défendre nos alliés, nos valeurs, nos principes !

Sommes-nous prêts à la guerre ? Rien n’est moins sûr.

Tout comme je le disais au début de ces propos, tous ces éléments ont échappé au spectre de nos mémoires individuelles et collectives. En effet, ce ne sont pas les images en continu et les commentaires de « spécialistes de salon » sur les plateaux télé qui feront prendre conscience de la réalité de la guerre…

Faute de l’avoir complètement vécue au Liban, au Sahel, en Afghanistan, et plus récemment, par trois fois, au plus près de la ligne de front ukrainienne, la réalité de la guerre, j’en ai eu un aperçu, et ce n’est pas beau, la guerre ! Quoi qu’en disent des intellectuels bien-pensants qui ont un temps essayé de vous « vendre » le concept d’une guerre propre, technologique : ce n’est pas cela, la guerre.

La guerre de position faite de tranchées, que subissent les soldats ukrainiens, s’apparente à celle de nos poilus de la Première Guerre mondiale (boue, saleté, rats, vacarme, sang…), mais aujourd’hui avec des « Grosse Bertha » puissance x100 que sont les missiles, et ce sont des civils à l’arrière qui sont aléatoirement touchés. Femmes, enfants, vieillards… comme dirait Poutine : « Tuez-les tous ! ».


C’est ça, la guerre. La sale guerre comme celles qui sévissent au Moyen-Orient, au Soudan, en RDC en Birmanie… n’ont rien à envier. Parce que nos systèmes de défense arrivent en Ukraine trop peu, trop lentement, trop tard… elle dure cette guerre. Parce que la communauté internationale est trop passive … elles durent ces guerres.


Si nos militaires sont toujours prêts à accomplir leur devoir pour la Patrie, qu’en est-il de la société civile ? Aux défaitistes et poltrons qui nous prédisent le pire, je leur réponds : rien n’est moins sûr.

Sous une juvénile nonchalance, une grande part de la jeune génération a plus conscience des enjeux qu’on ne le croit, est plus mobilisée qu’on ne le croit !

Leçon de l’Histoire et du « rien n’est moins sûr » au cœur de la débâcle de juin 1940, un homme seul, ou quasi seul, le général de Gaulle, s’est levé et a relevé le flambeau de l’Honneur de la France, pour nous mener jusqu’à la victoire contre l’extrême droite nazie.

En conclusion : pour éviter la guerre, la meilleure façon d’y parvenir c’est de la préparer activement pour finalement dissuader nos adversaires de la mener, les convaincre de ne pas se mesurer à nous, les obliger à être rationnels.

Pour cela, de Valmy à Bir Hakeim, en passant par Verdun, dans le cœur de nos héros battaient les premières paroles du refrain de notre hymne national, la Marseillaise :
« Aux armes, citoyens ! Formez vos bataillons ! Marchons, marchons… »
À chanter… et à méditer !

Amitiés,
Philippe Folliot

Guerre et paix