T.D.C.D.M.

Ce fut une pique sournoise, inattendue, une saillie verbale nette, une sorte d’estafilade non létale mais qui touche au plus près du cœur. Il fut un temps, comme pour relever une mêlée en début de match, cela eut peut-être mérité une belle partie de manivelle ou une gueulante à faire trembler les murs, mais finalement ce ne fut qu’un regard froid, dur, avec un silence assourdissant accompagné d’un océan de mépris.

C’était dans un cocktail parisien que « l’outrage » fut commis, alors que je parlais avec passion de mon village, de ma montagne, de mon département, que me fut asséné un coup auquel je ne m’attendais pas, pas là, pas comme ça. Une phrase nette, bien ciselée : pour lui, j’habitais au « Trou Du Cul Du Monde ».

Au début, je me suis dit que c’était peut-être de l’humour, noir bien sûr ! Je n’ai pas immédiatement saisi la « haute portée symbolique » d’assimilation de ma ruralité viscérale à l’orifice anal, peut être synonyme de plaisir pour quelques-unes et quelques-uns, mais évacuation de matières fécales pour tous. Dans l’esprit de l’impétrant nous serions donc de la m****, et cela asséné avec la suffisance et le mépris de celui (ou celle) qui pense qu’au-delà du périphérique parisien il n’y a que la Côte d’Azur, Gstaad, Dubaï, les Bermudes …

Ma réponse sera celle des mots pour corriger les maux, pour rétablir certaines vérités, pour changer certains clichés, pour compléter certaines connaissances …

Au T.D.C.D.M. tout n’est pas rose, il y a des problèmes, des défis, des enjeux (comme partout !), mais tout n’est pas noir (ou marron !). Les routes pour y accéder y sont étroites, sinueuses, parfois cabossées, « on y passe pas, on y vient » et rarement à 90km/h qu’on ne peut qu’exceptionnellement atteindre sur une courte et éphémère ligne droite ici ou là, mais pour autant c’est une forme de mépris ruralicide le ressenti, aussi légitime que soit la lutte contre l’accidentologie routière, du prochain passage à 80km/h. On y roule donc lentement, et même parfois avec de vieux véhicules (souvent diesel…) qui pourtant passent sans encombres contrôles techniques sur contrôles techniques mais que des écolos, bien-pensants mais pas très sociaux, veulent empêcher de rouler. Pas de métro, pas de tram, pas de TER, même pas de bus au T.D.C.D.M. (oublié par le Conseil Départemental), car il y a plus d’un demi-siècle que la ligne du petit train de Lacaune, déjà jugée non rentable, fut fermée. On ne s’y déplace donc qu’en voiture, en mobylette ou à vélo !

Certains jeunes quittent le T.D.C.D.M. pour, après le collège (30km) ou le lycée (40km) suivre des études dans la capitale régionale, Toulouse, ou plus près à Albi ou Castres (rarement) ou plus loin (souvent), départ sans retour (sauf estival) pour beaucoup. D’autres restent accrochés ou reviennent sur cette terre qui colle autant à leurs semelles qu’à leur cœur et qui ne les trahit pas. Certains quittent le T.D.C.D.M. pour aller travailler en ville, mais pour d’autres la réciproque ne saurait exister. Les hivers sont parfois longs, pluvieux, certains disent tristes au T.D.C.D.M. et internet qui ne vient pas, ou depuis si peu, ne rompt pas totalement l’isolement… On y est pas qu’agriculteur mais éleveur au T.D.C.D.M. et la m**** on connait… mais le travail bien fait aussi ! « On est sauvage », il y a même des loups qui passent au T.D.C.D.M. mais nul ici n’a envie de les voir rester sauf… empaillés ou plombés ! Régulièrement, on nous dit que l’Etat ou les régions vont s’occuper des T.D.C.D.M. Il parait qu’ils appellent cela « aménagement du territoire » et si d’utiles miettes arrivent jusqu’à nous, l’essentiel des dotations et financements est pour… les grandes métropoles !

Maintenant positivons, fermez les yeux et imaginons ensemble un monde nouveau, un bout de France, où il y aurait :

  • Le plein emploi avec 5% de chômage
  • Pas d’insécurité
  • Aucune pollution
  • Un lien social fort
  • Un art de vivre où tout le monde se dit bonjour, se serre la main ou se fait la bise
  • Une vie associative dense
  • Une fiscalité maitrisée et des collectivités qui investissent
  • Des relais de services publics efficaces
  • L’essentiel des commerces et services de première nécessité
  • Des professionnels de santé jeunes, compétents et avenants
  • Des circuits-courts fers de lance de l’économie sociale et solidaire
  • Un pôle culturel innovant avec une bibliothèque publique qui vit sans subventions
  • Un accompagnement des ainés social et personnalisé à domicile ou en institution
  • Des associations sportives dynamiques tournées vers la jeunesse
  • Une base de loisirs avec un centre de bien-être (hammam, sauna, spas, massages …) accessible à tous
  • Des chemins de randonnée exceptionnels
  • Des rivières poissonneuses et des rivières giboyeuses
  • Des paysages à couper le souffle

Maintenant finies les digressions et fantasmagories : pour vous, cet eldorado, ce pays de cocagne n’existe pas, ce n’est juste pas possible.

Détrompez-vous, bienvenue au… Trou Du Cul Du Monde !

Amitiés,

Philippe FOLLIOT

T.D.C.D.M.